lundi 11 septembre 2017

Le Liban ose arrêter Ziad Doueiri parce qu'il a tourné le film « L'Attentat » en Israël en 2012, alors qu'il laisse en 2017 les terroristes de Daech partir dans des bus parfumés à l'eau de Cologne (Art.464)


الصدمة
The Attack, L'Attentat
Un film de Ziad Doueiri (2012)
La brève arrestation du réalisateur libanais Ziad Doueiri à l'aéroport de Beyrouth hier soir et la confiscation de ses passeports libanais et français, avant sa remise en liberté et sa convocation devant le tribunal militaire ce matin, est fort regrettable pour au moins deux raisons.

. D'une part, parce qu'il est hallucinant et surréaliste que l'Etat libanais ose arrêter cet artiste parce qu'il a tourné le film « L'Attentat » en Israël, il y a plus de cinq ans (sorti en 2012), alors qu'il vient en 2017 de laisser le Hezbollah et le régime d'Assad exfiltrer des centaines de terroristes de la pire espèce, appartenant à une organisation terroriste combattu depuis trois ans par une coalition internationale, Daech-Etat islamique, ayant occupé une partie du territoire libanais pendant des années, attaqué des positions de l'armée libanaise et des forces de sécurité intérieure, commis des attentats au Liban et exécuté une douzaine de militaires libanais, dont deux par décapitation, dans des bus climatisés et parfumés à l'eau de Cologne, sans être inquiétés par qui que ce soit sur quoi que ce soit.

. D'autre part, parce que le réalisateur en question fait honneur au Liban. Et c'est aussi rare que précieux de nos jours. Il revient de la Mostra de Venise, avec dans ses bagages le prix de la meilleure interprétation masculine décerné à l'acteur palestinien Kamel el-Bacha, pour le rôle qu'il a joué dans son film « L'insulte (قضية رقم ٢٣ ) » et qui pourrait même être nominé aux Oscars 2018. Ziad Doueiri est le réalisateur du célèbre film West Beirut (1998), ainsi que de la série française Baron Noir (2016-2017). Il a assisté Quentin Tarantino sur plusieurs de ses films, notamment Pulp Fiction (1994). Il a vécu à Los Angeles et vit actuellement à Paris.
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En politique, Ziad Doueiri est contre le boycott d'Israël. C'est son droit. Roger Waters est pour et Bakhos Baalbaki est au diapason de l'ex-fondateur des Pink Floyd. En tournant son film en Israël, avec des acteurs israéliens, Ziad Doueiri, de nationalité libanaise, s'est mis volontairement et en connaissance de cause en infraction. « J'ai effectivement filmé une partie du film à Tel Aviv parce qu’une partie de l'histoire se déroule là-bas. J'ai eu recours à des acteurs israéliens parce qu'il s'agissait de mon choix artistique. Je n’ai aucun regret et je n’ai pas d’excuses à faire. » Se rendre en Israël, un pays ennemi, « sans l'autorisation préalable du gouvernement libanais », comme dit la loi, ou établir une transaction commerciale avec des ressortissants ou des résidents de cet Etat ennemi, est un délit passible d'une amende et d'un an d'emprisonnement selon les lois en vigueur dans notre pays. 

Autorisé au Liban dans un premier temps, en 2013, L'Attentat a été interdit par la suite, conformément à la décision de la Ligue arabe. Le film est une adaptation du roman de l'écrivain algérien Mohammad Moulessehoul, alias Yasmina Khadra. Il est né dans la douleur. Le producteur américain qui est à l'origine de l'idée s'est rapidement retiré du projet, voyant dans le scénario un film casse-tête, pro-israélien pour les Européens et pro-palestinien pour les Américains.

Chacun est totalement libre de juger la convenance et la pertinence de cette disposition législative libanaise. Mais au-delà du réflexe d'indignation légitime sur l'arrestation d'un réalisateur notoire et reconnu qui fait la fierté du Liban, chaque citoyen libanais, et leader politique aussi, est appelé à se prononcer sur le fond de l'affaire Doueiri plutôt que sur la forme : faut-il garder, oui ou non, l'article 285 du Code pénal libanais ?
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Il faut arrêter de tourner autour du pot à chaque fois que le cas se présente, telle est en conséquence la vraie question. Personnellement, les choses sont parfaitement claires: 

. tant que le pays du Cèdre n'a pas établi officiellement un traité de paix avec l'Etat hébreux, garantissant le droit de retour des 500 000 réfugiés palestiniens du Liban sur leurs terres; 

. tant qu'Israël ne respectera pas la souveraineté du Liban au niveau des terres, des airs et des mers ; dernière violation, il y a deux jours, lors du bombardement de l'usine syrienne d'armement, les avions israéliens ont traversé l'espace aérien libanais comme si de rien n'était et comme si ce pays n'appatenait à personne ;

. et tant que l'Etat de Palestine ne verra pas le jour dans ses frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale ;

je suis pour le maintien de l'esprit de l'article 285, pas pour la peine qu'il prévoit.

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Cela étant dit, celles et ceux, citoyens et politiciens, qui trouvent que les ennuis judiciaires de Ziad Doueiri sont abusifs, devraient militer plus clairement pour l'abolition ou l'assouplissement de la législation qui les a rendus possibles, si ce n'est par souci de cohérence, que ça soit au moins par souci d'efficacité pour l'avenir, afin d'éviter justement les remakes.

D'ailleurs à ce propos, l'affaire Doueiry confirmera pour la énième fois, que la meilleure publicité qui soit, reste une bonne polémique sur un fond de censure. Sexe, religion et Israël sont de bons choix. L'insulte sortira dans les salles libanaises dans trois jours, l'avant-première tombera 24 heures après la comparution devant le tribunal militaire, demain mardi. Dans nos contrées où l'on est friand de théories du complot, il n'en faut pas plus pour que certains croient que toute cette histoire n'est qu'un film de série B. Chapeau les gars, tournée générale !
قضية رقم ٢٣
The Insult, L'Insulte
Un film de Ziad Doueiri (2017)

Post-scriptum 1

Je le dis à tout hasard pour tous celles et ceux qui faisaient le tour du monde à quatre pattes ou à cloche-pied depuis ce mois d'octobre de l'an de grâce 1989, et qui de retour de nos jours dans nos contrées d'Orient découvrent l'affaire Ziad Doueiri et tout ce qui va avec, les indignations des uns, les acclamations des autres et la note de Bakhos Baalbaki qui confronte les uns aux autres, et se retrouvent au diapason avec lui et ces principes, « la loi c'est la loi » et « nul n'est censé ignorer la loi », que la loi c'est aussi l'accord de Taëf qui fait partie de la Constitution de la République libanaise et qui stipule, n'en déplaise à beaucoup d'amnésiques qui ont choisi de l'être par conviction ou par omission, que « suite à l'accord des parties libanaises afin d'instaurer un Etat fort et efficace fondé sur l'entente nationale, le gouvernement d'union nationale élaborera un plan détaillé de sécurité qui durera un an et dont le but est d'étendre progressivement la souveraineté de l'Etat libanais sur tout le territoire national (...) dans ses grandes lignes (le plan) prévoira la proclamation de la dissolution de toutes les milices, libanaises ou non, et la remise de leurs armes à l'Etat libanais dans un délai de 6 mois, délai qui entre en vigueur après la ratification du document d'Entente Nationale ». Ouf, au cas où vous ne l'avez pas remarqué, vous venez de lire une seule phrase d'une traite. Reprenez votre souffle, vous en aurez encore besoin. Hélas, 28 ans après, nous sommes au point mort à ce niveau. Pire encore, la dernière milice armée libanaise, le Hezbollah, vient d'accorder l'immunité judiciaire à une bande d'assassins de l'organisation terroriste Daech et l'on s'obstine à détourner l'attention du peuple libanais avec un film qui s'est révélé être vraiment de série B. Après plusieurs heures d'interrogatoire ce lundi, le tribunal militaire vient de prononcer le non-lieu. Ziad Doueiri est libre comme l'air. L'article 285 sera toujours là. Longue vie aux polémiques et aux buzz qui vont avec. Bon film. Santé et à la prochaine !


Post-scriptum 2

Au magazine américain Variety, qui est dédié à l'industrie du spectacle, Ziad Doueiri a déclaré à sa sortie du tribunal militaire: « Ils ont tout simplement décidé de le faire maintenant parce que L'Insulte sort demain (mardi) et précisément parce qu'il représentera le Liban aux Oscars (les nominations seront connues en janvier 2018). Je ne pense pas qu'il y ait d'autres raisons. » Il a dit à peu près la même chose aux chaines de télévision libanaises
« Le message du film (L'Insulte) dérange certains », des journalistes et des réalisateurs à ce qu'il parait, et ça serait même un problème de « jalousie » et de « haine ». He he he, c'est la meilleure ! Finalement, on dirait qu'il y a beaucoup de mise en scène dans toute cette histoire et un beau jeu de rôle: l'Etat libanais garde le silence et ne communique pas sur l'affaire pour faire oublier sa bourde, d'avoir arrêté un artiste quelques jours seulement après le départ en grande pompe des randonneurs de Daech qui faisaient du camping sauvage dans l'Anti-Liban, et que Ziad Doueiri détourne l'attention pour mieux faire oublier qu'il s'est bel et bien rendu en Israël en violation des lois libanaises en vigueur. En tout cas, ce qui est sûr et certain, c'est maintenant car la plainte était récente et la convocation était vraiment en rapport avec le tournage de L'Attentat dans un pays « ennemi », contrairement à ce qu'a affirmé le réalisateur à plusieurs reprises et à divers médias, et qui s'exprime comme si tout ce buzz allait nuire à la vie cinématographique de L'Insulte. A ce stade, il ne reste donc plus aucun doute, on a vraiment eu droit à un film de série B ces 24 dernières heures. Une dernière chose, Ziad Doueiri a tenu à affirmer qu'il a été très bien traité par la Sûreté générale et le Tribunal militaire. Qu'on se le dise ! Bienvenue au Liban.