vendredi 19 mai 2017

Mode d'emploi pour devenir la risée du monde en un clin d'oeil : faire carrière dans Tsahal, être ministre de la Culture, porter une robe de Jérusalem et aller au Festival de Cannes (Art.436)


Aïe, aïe, aïe, c'était pas une bonne idée. On peut penser la moitié d'un quart d'un instant que la ministre israélienne de la Culture a souhaité profiter du Festival de Cannes, la plus grande manifestation narcissique sur Terre et une des plus polluantes pour l'environnement, en tapis rouges et en robes jetables, pour adresser un message de paix et de fraternité au monde. Oh la la, naïfs et naïves, arrêtez de penser et allez vous recoucher. Nous penserons à votre place. A moins que vous ne décidiez d'ouvrir les yeux et de lire la suite.

A gauche, photo réelle de Miri Regev, ministre israélienne de la Culture
à l'ouverture du Festival de Cannes le 17 mai 2017,
portant une robe avec une vue panoramique de Jérusalem.
A droite, photo détournée de Miri Regev portant une autre robe, taillée sur
mesure pour elle par des internautes, avec en toile de fond,
une image de Gaza sous les bombes israéliennes.

Miri Regev est actuellement députée du Likoud et ministre du gouvernement Netanyahou. Ça ne vous donne pas déjà une idée sur son formatage politique? Ah, mais on a plus que ça dans les archives. Flashback. A 18 ans, la jeune israélienne décide de rejoindre les « Gedudei no'ar 'ivri », Gadna pour les connaisseurs, les bataillons de la jeunesse hébraïque. Elle y reste trois ans. C'est une sorte de cours-prépas facultatifs de l'armée israélienne réservés aux lycéens en vue de les préparer au service militaire obligatoire. Bon, disons une sorte d'endoctrinement, très utile pour augmenter la vocation des jeunes israéliens pour rejoindre l'armée. Dans ce programme militaire, on s'entraîne à tirer dès l'âge de 14 ans, élément fondamental pour augmenter la culture des ados, n'est-ce pas? On étudie aussi la géographie d'Israël, essentiel pour apprendre par coeur la chanson nationaliste que Jérusalem est la capitale éternelle d'Israël, que la Cisjordanie est le gruyère Judée-Samarie du temps biblique avec quelques trous d'air palestinien inexpliqués et que tous les salauds de la Terre se liguent actuellement pour tenter de rompre le lien qui unit le peuple élu à la Terre sainte, et patati et patata et blablabla. 

Général Miri Regev, porte-parole de l'armée
israélienne, durant la Guerre de Juillet
Photo Niv Calderon, 2 août 2006
Miri Regev commencera sa véritable carrière professionnelle comme représentante du porte-parole du Commandement israélien du Sud. Elle enchainera ensuite pour le poste de porte-parole adjointe de l'armée israélienne. Dans le cadre des préparatifs pour faire face à la deuxième Guerre du Golfe et l'invasion américaine de l'Irak, elle sera nommée Coordinatrice des efforts nationaux de relations publiques auprès du Premier ministre Ariel Sharon. Elle sera également chargée de censurer la presse et les médias sous motif de protéger la sécurité nationale, en empêchant la publication de rapports qui nuisent aux intérêts d'Israël. En 2005, c'est le summum de sa carrière militaire, elle est promue porte-parole de Tsahal


Sud de Beyrouth, Guerre de Juillet 2006
(12 juillet-14 août)
A l'époque, Miri Regev était porte-parole
de l'armée israélienne
A ce propos, vous ne vous souvenez peut-être pas, mais nous l'avons très bien connu au Liban. On se serait bien passés d'ailleurs. C'est elle qui tentait de justifier l'acharnement hystérique de l'armée israélienne sur le pays du Cèdre pendant 33 jours durant la guerre de Juillet 2006, qui rappelons-le, a fait plus de 1 200 morts et 5 000 blessés, et qui nous a coûté une douzaine de milliards de dollars, l'équivalent de la moitié de notre PIB de l'époque. 

Ah non mais c'est clair de tout ce qui précède, elle était prédestinée à la Culture, n'est-ce pas ? Colonel puis général de l'armée israélienne, elle n'entame sa carrière politique qu'en 2008, à l'âge de 43 ans, en tant que députée du Likoud. Elle sera engagée dans le gouvernement de Netanyahou en 2015.

Enfants israéliens dédicaçant les obus
qui seront déversés sur le Liban pendant
33 jours durant la Guerre de Juillet 2006
"Pour Nasrallah, avec amour, d'Israël et Danièle"
Comme hobby, Miri Regev pratique la xénophobie. Non, pas à l'égard des Palestiniens, voyons. A l'égard des immigrés africains, qui seraient comme « un cancer dans notre corps ». Bizarre de ne pas être portée sur le mélange des cultures pour une fille d'immigrés, dont le père vient du Maroc et la mère d'Espagne! La ministre israélienne a refusé de participer à la cérémonie d'ouverture des JO de Rio en 2016, car elle faisait le chabbat. En tant que ministre de la Culture, elle pense que les artistes israéliens qui reçoivent des fonds publics doivent être « fidèles » à l'Etat d'Israël. Il faut dire que ces gens sont souvent de gauche et très critiques à l'égard de ce tout ce qu'elle peut bien représenter.

Général Miri Regev, porte-parole de Tsahal,
 lors de l'évacuation de Kfar Darom
Gaza, 18 août 2005
Photo Wikimedia Commons
Général Miri Regev, ministre israélienne de la Culture à ses heures perdues, ne connait rien à son ministère. Elle y tombe comme un cheveux dans la soupe. Elle a fait la grande partie de sa carrière au sein de l'armée israélienne. 25 ans de service svp ! Ce n'est donc pas étonnant qu'elle soit la risée du monde en venant à Cannes pour faire de la propagande politique, sous prétexte de Culture, en montant les marches portant une robe dont le bas était bordée par une image panoramique de la ville de Jérusalem où l'on aperçoit le Mur Occidental, la Tour de David et le Dôme du Rocher. Le détournement sarcastique était donc évident et tout trouvé. Sans l'ombre d'un doute, une photo de Gaza, de Tyr ou de Beyrouth, sous un déluge de fer et de feu de Tsahal, aurait mieux convenu à sa robe, sa carrière et son état d'esprit. Pour une éditorialiste israélienne de Haaretz, cette robe est « de mauvais goût, agressive et colonialiste ».

Le message de Miri Regev à Cannes fait partie de la propagande officielle de l'Etat d'Israël qui est martelée sous différentes formes. Dans cette version, la ministre israélienne veut « fêter les 50 ans de la réunification de la ville » et « célébrer les 50 ans de la réunification de Jérusalem », comme on peut le lire sur de nombreux sites israéliens, comme The Times of Israël, et pro-israéliens, à l'instar du site néo-conservateur américain, Dreuz. Elle l'a avoué elle-même : « Cette année, nous fêtons les 50 ans de la libération et de la réunification de Jérusalem. Je suis fière de célébrer cette date historique par le biais de l’art et de la mode. Je suis heureuse que ce travail réalisé par le styliste israélien Aviad Herman soit si émouvant et qu’il honore le beau statut de notre capitale éternelle, Jérusalem ». Foutaises. Non mais, arrêtez de dire des bêtises madame Regev, comme dirait le jeune prodige de l'Elysée !

Sans remonter à l'époque de Mathusalem et polémiquer stérilement, la dite réunification de Jérusalem s'est faite au cours de la guerre des Six Jours en 1967. Elle n'est pas reconnue par la communauté internationale. Ainsi, Jérusalem-Est, sera forcément la capitale de la Palestine. C'est la clé de voûte de la paix dans le conflit israélo-palestinien. Israël ne pourra pas s'y opposer éternellement car la partie Est de la ville est actuellement occupée, annexée et colonisée par Israël, en violation de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et du droit international.

Alors que Miri Regev était au ministère de la Culture depuis un moment, l'Unesco -United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization- a adoptée au cours de l'Assemblée plénière tenue le 18 octobre 2016, une résolution historique, sur une proposition présentée par sept pays arabes (dont le Liban, l'Egypte, l'Algérie et le Maroc), malgré l'opposition de six pays (dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne), et l'abstention de 26 pays (dont la France), qui est venue nous rappeler une vérité fondamentale. Dans ce texte composé de 41 points, qui énumère toutes les violations culturelles commises par l'Etat hébreux dans la ville, Israël est systématiquement désigné par la « Puissance occupante » de Jérusalem-Est. Les Israéliens feraient mieux d'en prendre acte au lieu de continuer à aggraver leur cas et à ternir leur image dans le monde. 

Faire carrière dans Tsahal, puis être ministre de la Culture, et décider ensuite de porter une robe de Jérusalem pour venir enfin au Festival de Cannes parler d'art, de mode, de culture, d'émotion et d'honneur, non mais franchement, on ne pouvait pas faire mieux comme mode d'emploi pour devenir la risée du monde en un clin d'oeil. Chapeau!