mardi 21 février 2017

Lara Saad Hariri chez le pape au Vatican vs. Marine Le Pen chez le mufti à Dar el-Fatwa au Liban (Art.417)


Et dire qu'Abou al-Tayeb Ahmad ibn al-Hussein al-Mutanabbi, le plus grand poète arabe de tous les temps, a eu la présence d'esprit de prévenir ses semblables de l'ingratitude ! 

إذا أنتَ أكْرَمتَ الكَريمَ مَلَكْتَهُ وَإنْ أنْتَ أكْرَمتَ اللّئيمَ تَمَرّدَا

« Si tu honores une personne généreuse, elle sera à toi, mais si tu honores une personne malhonnête, elle se rebellera (contre toi). » "Généreuse" au sens "douée de sentiments nobles" et "malhonnête" au sens "qui n'agit pas avec droiture et loyauté". Ce vers a été écrit il y a plus de mille ans. Depuis, malgré cette mise en garde d'une vérité intemporelle, nombreux sont ceux qui continuent de tomber dans le piège de la bonté et de la générosité.

Lara Saad Hariri chez le pape au Vatican (20 fév. 2010) vs.
Marine Le Pen chez le mufti à Dar el-Fatwa au Liban (21 fév. 2017)
Photos: Christophe Simon (Getty Images), Aziz Taher (Reuters)

Que Marine Le Pen soit accueillie à bras ouverts par des Libanais de confession chrétienne n'a rien d'étonnant. Le Front national a pas mal de sympathisants dans les communautés chrétiennes du Liban. Ils ne s'en cachent pas d'ailleurs. Ce qui ne veut pas dire que la majorité des Chrétiens libanais adhèrent à l'idéologie de ce parti, loin de là. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent ce choix politique. Inutile de polémiquer sur ce point. L'extrémisme représente sans doute l'attitude et la doctrine les plus partagées au monde, aux niveaux politique, religieux et idéologique.

Cela étant dit, passons de l'autre côté. Que Marine Le Pen soit reçue par des personnes de confession musulmane, au Liban, en Egypte ou même en France, n'a rien d'habituel. Certes, la présidente du FN dit fièrement qu'elle a déjà été reçue le 29 mai 2015, par le Grand imam de la moquée Al-Azhar. Mais elle oublie de préciser ensuite, que ce jour-là cheikh Ahmad Mohamad Al-Tayib lui a fait part de ses « sérieuses réserves » concernant ses « positions hostiles à l'islam ». Il a espéré, en oubliant la mise en garde d'Al-Moutanabbi, qu'Allah lui pardonne, que les opinions de Marine Le Pen seront « revues et corrigées ». Tu parles !

Marine Le Pen à Dar el-Fatwa, le 21 fév. 2017
Photo d'Aziz Taher (Reuters)
Le lundi 20 février 2017, hier, on a fait savoir à l'équipe de Marine Le Pen que le mufti sunnite de la République libanaise accepte de recevoir la présidente du FN à condition qu'elle se couvre les cheveux. Les choses étaient parfaitement claires, au moins du côté du mufti. Et pourtant, le lendemain, au lieu d'être reconnaissante pour cette concession accordée par la plus haute autorité sunnite au Liban -qui n'est pas obligée de la recevoir, mais alors là, pas du tout- et comme si de rien n'était, Marine Le Pen se pointe dans le quartier de la moquée d'Aicha Bakkar pour rencontrer cheikh Abdel Latif Deriane les cheveux en l'air. Naïvement, les gars sur place ont pensé à un oubli de sa part, dû aux flatulences causées par l'abus de notre caviar national, le hommous, mangés la veille à la table de Roger Eddé. On lui tendit naïvement un voile. Elle a fait semblant d'être offusquée avant de marmonner deux phrases sur son trip au Caire en 2015. Enfin, comme c'était prévisible, elle a été refoulée et est repartie bredouille comme lors de sa mésaventure à la Trump Tower, pas de selfie avec un leader religieux musulman. Entre nous, c'est clair qu'elle n'en voulait pas. Elle cherchait autre chose. 

Cet incident est regrettable. Mais heureusement qu'il est arrivé parce qu'il confirme trois vérités sur Marine Le Pen.

1. Marine Le Pen est une femme politique irresponsable
Or, c'est une qualité indispensable ne serait-ce que pour songer la moitié d'un quart de seconde à se représenter à l'élection présidentielle. Les conditions de la rencontre étaient parfaitement claires. Elle avait totalement le droit de les refuser et d'annuler la rencontre, mais surement pas de faire tout un cirque, devant les portes de Dar el-Fatwa, de manquer de respect à son hôte, de venir forcer les portes de la mosquée du mufti et de l'obliger à prendre un selfie avec elle. Là, il y a mépris.

2. Marine Le Pen est bel et bien une islamophobe
Les conditions de la rencontre étaient connues de la veille. Encore une fois, elle avait parfaitement le droit de les refuser et d'annuler la visite. Ce n'est pas ce qu'elle a fait. Sa venue était donc une mise en scène. Pire encore, une provocation qui avait un triple objectif. Primo, transformer une rencontre apolitique amicale en une confrontation politique avec l'islam. Secundo, donner tout cela en pâture à son électorat, une façon de leur dire « vous voyez qu'ils ne nous acceptent pas comme on est, non voilées ». Tertio, nourrir l'islamophobie avec « eh bien, nous aussi, on ne veut pas les accepter comme elles sont, voilées ». C'est aujourd'hui qu'il faut se rappeler ce tweet délirant du 2 décembre 2015. Il résume bien les intentions cachées de Marine Le Pen : « Si nous perdons, le voile sera imposée à toutes les femmes, la charia remplacera notre Constitution, la barbarie s'installera ». C'était six mois après son show hypocrite au Caire. Déjà de l'ingratitude ! Eh oui, que Dieu pardonne au Grand imam de la mosquée Al-Azhar d'avoir oublié la mise en garde d'Al-Mutannabi.

Saad et Lara Hariri au Vatican, le 20 fév. 2010
Photo de Christophe Simon (Getty Images)
3. Marine Le Pen a une tendance christianophobe refoulée
Se voiler les cheveux n'est pas du tout propre à l'islam. C'est ce que faisaient nos grands-mères chrétiennes au Liban, en Italie, dans la plupart des pays méditerranéens et ailleurs, quand elles se rendaient à l'église. Et encore, ce n'était pas une lubie. Cette pratique puise ses racines dans les écrits de saint Paul. C'est pour vous dire, ça ne date pas d'hier. Et pour la énième fois, Marine Le Pen avait le droit de rejeter cette coutume islamo-chrétienne et de la combattre, mais pas de faire tout ce cirque devant les portes de la mosquée. Il faut qu'elle sache quand même que dans l'usage, les femmes se voilent les cheveux pour rencontrer le pape, le chef de l'Eglise catholique romaine. Tenez, une image me vient tout de suite à l'esprit, celle de Saad Hariri avec sa femme et ses enfants au Vatican. C'était il y a sept ans, jour pour jour, un certain 20 février 2010. Ah, l'ironie de l'histoire est parfois terrible. Lara Hariri, une femme libanaise de confession sunnite, portait un voile sur les cheveux par respect à son hôte chrétien, le pape Benoit XVI. Je pense aussi à Amal Alamuddin Clooney, une autre compatriote de confession druze, portant un couvre-chef devant le pape François Ier le 29 mai 2016. 

Amal Alamuddin et George Clooney reçus
par le pape François le 29 mai 2016 (AP-Sipa)
Le comportement digne de Lara Saad Hariri ou d'Amal Alamuddin Clooney au Vatican forge le respect, le cirque de Marine Le Pen devant les portes de Dar el-Fatwa au Liban fait honte.

Au lieu de faire ce show crétin, Marine Le Pen aurait dû, soit annuler sa visite la veille, si ses convictions étaient réelles, soit faire comme Lara Hariri au Vatican, si ses intentions étaient sincères. Dans tous les cas, elle aurait dû agir sans mépris pour certaines traditions de l'islam ou au moins par respect pour certaines traditions du christianisme. Et si ce n'était pas sans mépris et par respect pour ces traditions islamo-chrétiennes, au moins sans mépris et par respect pour les coutumes libanaises. Nous aussi, « on est chez nous » quand même. Elle devrait bien comprendre la formule, elle qui l'a crié haut et fort il y a quelques jours en France.

Et du coup, la stature internationale de Marine Le Pen en prend un coup. Raté pour 2017. On verra bien en 2022. La présidente du FN a cru se rattraper dans la région chrétienne du Kesrouane en se rendant à Harissa afin d'admirer la magnifique baie de Jounieh. A table on lui a expliqué le protocole pour préparer un verre d'arak, notre pastis national. On a profité de l'occasion pour lui faire comprendre aussi que si elle voulait se rendre au sanctuaire de Sainte-Marie qui est tout proche, une « tenue correcte est exigée ». Pas de décolleté, ni bras découverts et encore moins de jambes à l'air. Alors, qu'est-ce qu'elle en dit la révoltée de Dar el-Fatwa ? Eh oui, il faut au moins être cohérent pour être crédible, ça peut aider à gagner des élections. Ce fut un plaisir de la recevoir et de lui rappeler quelques évidences. Allez, bon vent Marine !

*

Post-scriptum 

Dans la première version de l'article, j'ai abordé le point sur le port du voile dans le christianisme succinctement, en croyant que ça allait suffire pour clore le débat. Mais des Thomas, pleins de certitudes, mais aussi d'ignorance et d'intolérance, sont venus exprimés leurs doutes sur mon mur Facebook et trouver des excuses au cirque de Marine Le Pen devant Dar al-Fatwa ce matin. Alors, faisons le point une fois pour toutes.

Funérailles du pape Jean-Paul II, le 8 avril 2005
Photo d'Eric Draper (Maison Blanche)
Couvrir les cheveux relève de la tradition chrétienne également, n'en déplaise à certains. Celle-ci puisse ses racines dans les écrits de Saint Paul, notamment dans la Première épître adressée par Paul de Tarse, apôtre de Jésus-Christ, le fils de Dieu pour les Chrétiens, aux Corinthiens, vers l'an 55. Voici ce qu'on peut lire au chapitre 11.

« Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ... Je veux cependant que vous sachiez que le chef de tout homme c'est le Christ, que le chef de la femme, c'est l'homme, et que le chef du Christ, c'est Dieu. Tout homme qui prie ou qui prophétise la tête couverte, déshonore sa tête.
Toute femme qui prie ou qui prophétise la tête non voilée, déshonore sa tête: elle est comme celle qui est rasée. Si une femme ne se voile pas la tête, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux à une femme d'avoir les cheveux coupés ou la tête rasée, qu'elle se voile. L'homme ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image de la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme... C'est pourquoi la femme doit, à cause des anges, avoir sur la tête un signe de sujétion... Jugez-en vous-mêmes : est-il bienséant qu'une femme prie Dieu sans être voilée? » 


Barack et Michelle Obama reçus le 10 juillet 2009
au Vatican par le pape Benoit XVI
AP Photo, Haraz N. Ghanbari
Cette obligation de porter un couvre-chef prescrite par Paul de Tarse sera inscrite dans le droit canonique de 1917 qui regroupe « l'ensemble des lois et des règlements adoptés ou acceptés par les autorités catholiques pour le gouvernement de l'Église et de ses fidèles ». En France, qui était pendant treize siècles, la fille ainée de l'Eglise, avant de devenir pays de la Révolution et de la séparation des Eglises et de l'Etat, il a fallu attendre 1983 pour que le port de la mantille à la messe ne soit plus obligatoire pour les femmes chrétiennes. Il faut savoir par ailleurs que des écrits de saint Paul découle aussi l'obligation imposée aux hommes, contrairement aux femmes, d'enlever ce qui couvre la tête en entrant dans une égliseune coutume toujours d'actualité dans tous les édifices catholiques du monde, comme on peut le constater par exemple à la cathédrale Notre-Dame de Paris et à la basilique Saint-Pierre de Rome. 

François et Penelope Fillon reçus par Benoit XVI
au Vatican en octobre 2009
Photo d'Alberto Pizzoli (Getty Images)
En tout cas, même de nos jours, certaines femmes continuent à se couvrir les cheveux, une coutume qu'on peut encore observer dans la plupart des pays d'Europe et de la Méditerranée, mais à des dégrées différents. La mantille est toujours portée lors des audiences avec le pape, comme on le voit avec les Obama et les Fillon, à quelques exceptions près. On peut le constater aussi sur la photo ci-dessus, lors des obsèques de Jean-Paul II et même à l'investiture de Benoit XVI, la plupart des femmes avaient un couvre-chef. Penelope Fillon, Bernadette Chirac, Laura Bush et Michelle Obama ont toujours porté une mantille en présence du pape.

Enfin, à un moment il faut arrêter la mascarade des mises en scène puériles, surtout quand on est candidate à l'élection présidentielle, regarder la vérité en face et reconnaître ses erreurs. Ça serait un signe de maturité. Encore une qualité présidentielle que Marine Le Pen ne semble pas avoir.

A lire sur le même sujet
L'accueil officiel déplacé de Marine Le Pen au Liban ou l'erreur d'appréciation des dirigeants libanais (Art.416) Bakhos Baalbaki