jeudi 18 août 2016

Y a-t-il une place pour le burkini en France, entre le bikini et le topless ? (Art.381)


1. Comme si nous n’avions pas suffisamment de problèmes graves à régler, il faut que certains s’ingénient tous les jours pour en créer davantage. Et à partir de faits insignifiants, c’est encore plus pervers. A peine on a fini avec la supercherie de la dite église Sainte-Rita, nous voilà plongés dans une ahurissante surenchère autour du burkini, qui risque de faire beaucoup de vagues jusqu’à la fin de l’été.

2. Ça s’est passé en Corse le weekend dernier. Alors qu’une femme se baignait dans une crique en burkini, elle est prise en photo, par mégarde à ce qu’il parait, par des jeunes qui photographiaient les étoiles en plein jour. Coup de sang des hommes qui accompagnaient la burkiniste. Les parents des jeunes rappliquent. On passe aux mains ensuite. Les offensés sortent une hachette et un harpon. Bagarre générale. C’est la version qui a circulé sur les réseaux sociaux les premières heures. Elle a été prise à partir du témoignage d’une jeune fille et reprise en boucle par la majorité des médias de l’Hexagone. Le problème c’est qu’il existe une autre version des faits publiée par Mediapart d’après le témoignage d’un des participants à la bastonnade où il parait que les jeunes se seraient moqués de l’islam et des origines arabes des baigneurs, les poursuivant même sur le parking après avoir appelé du monde en renfort, qui a débarqué avec des battes de baseball, alors qu’ils quittaient gentiment les lieux. L’ennui c’est qu’il y a une troisième version des faits qui découle de l’enquête et qui balaie pour de bon les deux premières. Elle met en scène une famille maghrébine d’une douzaine de personnes, vivant en Corse et en Espagne, deux des quatre hommes étant connus des services de police, qui s’est montrée particulièrement agressive face à deux touristes rejoints par des baigneurs corses, qui voulaient profiter eux aussi de la crique et du paysage méditerranéen, décrétant « la plage est à nous, nous voulons être seuls ». Selon le procureur de la République, « ils ont multiplié... des incidents avec un certain nombre de personnes: jets de pierre à proximité d'autres personnes pour les intimider, tensions très fortes, insultes et menaces », ce qui a conduit au placement en garde à vue de trois hommes. A l’arrivée on n’a pas de burkini, mais trois des quatre femmes étaient voilées et se baignaient habillées, comme les hommes d’ailleurs. Il n’y avait pas de machette, mais un harpon a priori. Il n’y a eu aucune insulte à caractère raciste ou islamophobe, mais de l'agressivité. C’est un fait divers par excellence dû à la déshydratation des neurones en période estivale et à une hypertestostéronomie acquise. Mais, puisque la polémique est lancée, nous allons en profiter et surfer sur la vague.


3. Le burkini/burqini est une tenue de plage comme un hijab, qui couvre tout le corps à l’exception du visage, des mains et des pieds. Il a été créé en 2004 par une Libanaise svp, Aheda Zanetti, Australienne d’adoption. Par conviction religieuse ? Sans doute. Par motivation commerciale ? Certainement. Les ventes progressent au fur et à mesure que les esprits se radicalisent et les polémistes s’emmêlent. Se trouvant au milieu de cette tempête sans le vouloir, la business-woman feint ne pas comprendre la polémique française en se réfugiant derrière la commode victimisation : « J’aimerais poser une question : est-ce que les maires et politiciens en France veulent bannir le burkini ou juste les musulmans ? » Qu’est-ce que tu veux ma cocotte de compatriote, à défaut d’interdire la construction de mosquées dans l’Hexagone, on s’attaque au burkini !

Mais comment reprocher à la créatrice du burkini de ne pas comprendre le sujet de la polémique, quand de prestigieux médias comme la BBC et le New York Times n’y arrivent pas non plus. Pour le premier, « les autorités (françaises) devront faire la distinction entre les nageurs en burkini et en combinaison (de plongée) », et pour le second « la France désigne la dernière menace pour la sécurité: le burkini ». Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung prétendra même que « l’interdiction du burkini... est le produit d’une islamophobie ». Mais voyons !

4. Tout aussi ridicules, ces réactions contre le port du burkini, exprimées en France. La médaille de bronze du ras des pâquerettes revient à l’essayiste Caroline Fourest : « Si ces nageuses (burkinistes) persistent dans l'incohérence... on a bien le droit de se lever pour aller se baigner ailleurs (surtout ne te gêne pas !), voire d'envoyer à son tour un message : en optant pour le nudisme (ah non pitié, épargne-nous le spectacle !) ». En ce qui concerne la médaille d’argent, je l’attribue au plus méritant, le très sérieux Raphaël Enthoven : « Question : Les partisans du burkini défendent-ils, au nom de la tolérance qu'ils invoquent, le port du string sur les plages saoudiennes?» Et dire qu'il fier de lui ! Wlak chou khas tozz be marhaba, comme on dit dans nos contrées d’Orient, quel rapport ? Aucun. Il a échappé à ce professeur de philosophie que sa question n’a aucun sens logique que si elle est posée à des Saoudiens qui invoquent la tolérance pour soutenir le port du burkini sur la Côte d’Azur ! Quant à la médaille d’or, elle est attribuée haut la main à David Lisnard, le maire Républicain de Cannes pour son arrêté fourre-tout pris le 28 juillet qui stipule que « l'accès aux plages et à la baignade sur la commune de Cannes sont interdits (...) à toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité des baignades ». Pour mieux se rendre compte du ridicule de la situation, malgré la validation de l’arrêté par la justice, il faut bien comprendre que rien, absolument rien, n’interdit sur les territoires de France, de Navarre et autour de la Croisette, de déambuler et de prendre l’air en burkini. Avis aux amatrices. Mais dans ce dernier cas, gare à celles qui s’aventureront sur le sable de la plage située de l'autre côté du célèbre boulevard ! L’amende sera salée, 38 € par provocation. 

5. Cela étant dit, comme je l’ai mentionné plus-haut, toute cette affaire en Corse a démarré avec trois femmes qui se baignaient habillées dans la mer, quatre hommes qui avaient privatisé une crique et des jeunes qui ne croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles. C’est ce qui nous amène à une première réflexion de bon sens. Si de part et d’autre, les jeunes curieux corses et les hommes susceptibles d’origine maghrébine, n’avaient pas fait attention les uns aux autres, chacun faisant ce qu’il avait à faire et s’adonnant à ses petits plaisirs et ces délires, tout le monde serait rentré chez lui en fin de journée pour préparer le barbecue du soir, joyeux et exténué par une si belle journée ensoleillé passée à la plage. Mais non voyons, la vie serait trop belle avec un esprit décontracté !

6. La deuxième réflexion qui vient à l’esprit est aussi de bon sens. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, je n’apprécie plus du tout l’ambiance de la plage. En tout cas, pas avant 18h ! La chaleur, le sable, l’eau salée, la luminosité, l’éblouissement, les ultraviolets, les coups de soleil, les risques dermiques, les risques oculaires, la promiscuité, les restrictions hydriques, la rétention urinaire, la pollution de l’eau, les pisseurs et pisseuses de tout poil, et j’en passe et des meilleures. Nulle part et dans aucune situation, nous sommes confrontés à autant d’éléments désagréables simultanément. Mais alors, saperlipopette, quelle idée d’en rajouter encore : aller se baigner tout habillées, en noir de surcroit, accompagnées d’hommes paranoïaques et agressifs ! Mamma mia.

7. Ma troisième réflexion porte sur le fond de cette affaire. L’Europe en général et la France en particulier, constituent d'extraordinaires contrées qui offrent à tout un chacun -disons à l’écrasante majorité des gens, de toutes origines, tendances politiques et appartenances communautaires confondues, et dans des limites raisonnables garanties par les Constitutions et les lois des pays de l’Union européenne- la possibilité de vivre en toute liberté, sa vie, ses idées, ses croyances, mais aussi, de s’affranchir des communautés, des religions, des idéologies et des pressions sociales. Nulle part au monde, un athée, un chrétien, un musulman, un juif, un bouddhiste, un fétichiste, un végétarien ou un crudivore, ne peut trouver un environnement aussi favorable à l’épanouissement personnel, qu’en Europe en général et en France en particulier, pourvu qu’on s’abstienne de dresser des barricades avec les autres, que nous cessions de gémir et de revendiquer à longueur de journée, et que chacun y mette un peu du sien. Alors pourquoi diable ne pas saisir cette chance inouïe de l'existence et en profiter pleinement ? Faut-il croire le chroniqueur algérien Aziz Benyahia, dont les chroniques tairaient pour un bout de temps ceux qui reprochent aux intellectuels musulmans d'être passifs, quand il affirme à propos du burkini avec sarcasme que « non seulement les musulmans l’auraient bien accueilli, mais ils auraient pris semble-t-il, ce néologisme pour une avancée dans leur conquête de nouveaux espaces gagnés sur des terres mécréantes » ? Je ne crois pas, mais il serait naïf d’ignorer que cette logique accapare les esprits islamistes en France et ailleurs.

Qui a le cœur de refuser l'accès à la plage
à cette burkiniste ?
8. Justement diront certains, les burkinistes profitent de cette précieuse liberté en optant pour la baignade habillée et le bain costumé. Il est vrai, les lois nationales n’interdisent pas de telles pratiques aussi extravagantes qu’elle soient. A partir du moment où le visage est découvert, l’Etat français ne peut pas dicter le code vestimentaire de la population. Alors pourquoi s’en offusquer ? 
 
Pour y répondre, il est intéressant de se rappeler qu’aller à la plage pour voir et être vu, exposer son corps au soleil et au regard d'autrui, passer sa journée à nager et à bronzer, et se rincer l’oeil au passage, sont des phénomènes récents dans l’histoire de l’humanité. En tout cas, pendant longtemps, le teint clair était plus recherché par les hommes et les femmes que le teint hâlé car il reflétait un mode de vie aristocrate, alors que le teint foncé renvoyait au travail à l’extérieur, donc à la paysannerie. Maintenant, nous avons complétement basculé dans la situation inverse. Il ne faut pas oublier aussi que la référence à la couleur de la peau fait partie de la thématique raciste. 
 
Pour cerner davantage la problématique du burkini en Méditerranée, il faut se rendre sur les plages d'Extrême-Orient. Depuis des années, le facekini fait fureur en Chine comme le montrent ces images qui ont fait le tour du monde. On y voit des Chinoises portant un pendant du burkini avec en plus, une cagoule masquant tout le visage, pour se prémunir contre les rayons solaires, échapper au bronzage, se protéger contre les piqures de méduses et surtout, éviter d’être prises pour des paysannes. C'est toujours d'actualité d'ailleurs, on en a parlé il n'y a pas longtemps.

Alors, si les Chinoises en « facekini » font sourire, pourquoi des Françaises en « burkini » provoquent autant de crispation dans la société ? Eh bien, c’est tout simplement parce qu’on considère que le port de ce vêtement de plage, qui le moins qu'on puisse dire n'est pas adapté aux conditions climatiques et environnementales dans lesquelles il sera porté, peut être motivé par une idéologie construite autour de deux éléments particulièrement nuisibles à la vie dans une société multiculturelle, laïque et apaisée : l’islamisme et le communautarisme.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’éditorial véhément du quotidien qatari Al-Sharq sur ce sujet. « Ces justifications superficielles et simplistes (de l’interdiction du burkini) fournissent des preuves supplémentaires que l'Etat français combat l'islam dans ses symboles (comme le précise ou le sous-entend l'article, il s'agit du voile, du niqab et du burkini !), craignant leur propagation parmi les Français ». Notez bien la formulation choisie par ce journaliste du Qatar, pays réputé d'avoir une grande affinité pour les islamistes aux quatre coins de la Terre, "l'Etat français combat l'islam dans ses symboles" et non "l'Etat français combat les (supposés) symboles de l'islam", nuance lourde de significations. 

Toujours est-il que le jour où le burkini sera porté par des Françaises athées, chrétiennes, juives, bouddhistes ou fétichistes, il ne posera plus aucun problème, il sera un maillot comme un autre. En attendant, il fera toujours polémique. Il serait naïf de l’ignorer.

9. Passons aux choses sérieuses. Que faire face au phénomène burkini ? Procédons par logique. Faut-il légiférer au niveau national ? Surement pas. En dépit de la médiatisation à outrance de tout ce qui touche à l’islam de près ou de loin, le port du burkini est un épiphénomène, condamné à disparaitre tellement il est inadapté, voire grotesque. Légiférer c’est lui donner de l’importance. En plus, l’Etat français et les forces de police ont d’autres occupations que de perdre du temps, de l’argent public et de l’énergie sur une mode identitaire si minoritaire. Faut-il légiférer au niveau local ? Pas davantage. Et dire que tout est laissé à l’appréciation des maires pour l’instant. Au rythme des échéances électorales et vu la bonne santé du populisme et la radicalisation des esprits des uns et des autres, la suite de l'histoire est prévisible. Après Cannes et Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), il y a eu Sisco (Haute-Corse), puis Touquet et Oye-Plage (Pas-de-Calais), Leucate (Aude) et Cap-d'Ail (Alpes-Maritimes). En tout cas, le tribunal administratif de Nice a validé le 13 août la décision de la Mairie de Cannes d’interdire le burkini sur les plages de la ville. Du côté de Marseille, le burkini semble trouver une place entre le bikini et le topless, sans que ça fasse beaucoup de vagues pour l’instant. De l’autre côté de la Méditerranée, les burkinistes n’ont pas la vie facile dans les piscines de certains hôtels et parcs du Maroc.

10. Il est curieux de noter dans cette affaire, qu’un petit détail de l’arrêté municipal de Cannes a échappé à tout le monde, médias et hommes politiques en tête. C’est celui de la date de validité de l’interdiction. Elle prend fin le 31 août 2016 ! Même le tribunal administratif de Nice est tombé dans le piège du maire de Cannes. Ce détail rend toute l’affaire du burkini ridicule. Alors voyons un peu, selon la logique de notre champion olympique du fourre-tout, en une nuit sans lune comme on dit, celle du 31 août - 1er septembre, subitement le burkini ne posera plus aucun problème de laïcité, de sécurité, de troubles à l’ordre public et d’hygiène, sur les plages de la ville de Cannes. C’est d’un grotesque !

11. Et au-delà des clichés, que faire ? Comme l’a rappelé Jean-Pierre Chevènement, la personnalité pressentie pour prendre la tête de la Fondation pour l'islam de France, « chacun doit faire un effort pour que la paix civile l'emporte ». Son appel aux Français de confession musulmane à la « discrétion » a fortement déplu à certains. Et pourtant, le Che s’adressait à tout le monde et son message spécifique est plein de bon sens. Face à ses détracteurs, l’ancien ministre de l’Intérieur a tenu à préciser qu’il n’a fait que reprendre « l'expression employée par le recteur de la mosquée de Bordeaux », l’imam Tareq Oubrou, qui laisse hommes et femmes prier sans séparation dans la mosquée de cette ville de la Gironde, et qui a été menacé de mort à plusieurs reprises par les terroristes de Daech. Dans ce sillage, je suis obligé de citer aussi Eric Zemmour, hélas. Non sérieusement, je ne me souviens plus du contexte exact. Mais, le polémiste a raconté un jour dans une émission de télévision, comment ses parents lui avaient appris un geste banal quand il était petit, plein de significations, celui d’enlever la kippa à la sortie de la synagogue, par « respect » à son environnement. Tout cela me conduit à une dernière réflexion, la plus importante de toutes. Mais enfin, au lieu que le maire de Cannes et ses collègues, ne prennent des arrêtés bidon, jusqu'au 31 août !, pour ne pas choquer leurs vacanciers, et que la Fédération des musulmans du Sud et le Collectif contre l’islamophobie en France ne caressent les burkinistes dans le sens du poil, les deux camps auraient mieux fait de rappeler à leurs administrés et à leurs adhérents que cette discrétion et ce respect, qui constituent la base même du vivre ensemble, doivent dicter la relation de chaque individu avec la société entière, et vice versa.

12. Moi qui me situe à cheval entre l’Orient et l’Occident, je m’aperçois finalement qu’il existe deux modèles du « vivre ensemble », qui ont chacun, des avantages et des inconvénients. D’un côté, il y a ce que j'appellerai le modèle oriental. Il est basé sur une expression ostentatoire et un penchant totalitaire, en ce qui concerne les convictions religieuses comme les opinions politiques, aussi bien au niveau des croyances et qu’au niveau des idéologies. Le modèle oriental du vivre ensemble, que l'on retrouve du Machreq au Maghreb, mais aussi dans toute l'Asie, l'Afrique et l'Amérique, s’inscrit dans l’esprit de la chanson « Tout va très bien, madame la marquise ». Comme on le voit au Liban par exemple, mais aussi dans d'autres pays arabes ou en Iran, non seulement ce modèle ne fait pas une nation cosmopolite, homogène et harmonieuse, mais en plus, il conduit inexorablement au repli identitaire et à la surenchère communautaire et religieuse, deux freins au progrès. D’un autre côté, nous avons le modèle occidental. On le retrouve notamment en Europe. Il est basé sur plusieurs piliers fondamentaux dont la liberté, la laïcité, la discrétion et le respect d’autrui. Ça n’a pas toujours été le cas et ce n’est pas facile, loin de là. Mais enfin, c’est le cas de nos jours et on y arrive avec peu d'effort. Ces piliers permettent d’apaiser les sociétés en général, de pacifier les relations sociales (communautaires) en particulier et d'aller de l'avant. Le modèle occidental du vivre ensemble est un modèle d’avenir, parfaitement adapté aux sociétés pluralistes. Il faut tout faire pour le préserver et éviter à tout prix de le parasiter par le modèle oriental.

13. En attendant l'avis du Conseil d'Etat sur le burkini, un souhait avant de nous quitter, vivement l’hiver, pour rafraichir certains esprits.