vendredi 26 août 2016

Le Conseil d’Etat suspend indirectement tous les arrêtés anti-burkini en France. Epilogue d’une polémique surréaliste (Art.383)


Eh oui, on aurait pu commencer par là. Mais bon, la vie politique serait trop belle, on vivrait tous dans le meilleur des mondes possibles et on s'ennuierait! Le Conseil d'État, comme le suggère son nom, est une institution séculaire dont les missions principales aujourd’hui consistent d’une part, à conseiller le gouvernement français pour la préparation des projets de loi/décret/arrêté, et d’autre part, à juger les litiges relatifs aux actes des administrations françaises. Saisi par la Ligue des droits de l’homme et le Collectif contre l’islamophobie en France -concernant l’ordonnance en référé rendue par le tribunal administratif de Nice le 22 août 2016, validant l’arrêté pris le 5 août 2016 par Lionnel Luca, maire de Villeneuve-Loubet (une ville située dans les Alpes-Maritimes, entre Nice et Cannes), à propos des tenues autorisées pour accéder à la plage- la plus haute des juridictions de l'ordre administratif de la République française a tranché. « L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. » Ainsi, le Conseil d’Etat invalide indirectement une trentaine d’arrêtés de même nature pris ces derniers jours en France.

L’enjeu de cette bataille juridique concerne, au-delà du port du burkini à la plage, le pouvoir des maires et surtout, les libertés fondamentales en France. Les contestataires des arrêtés arguaient que le burkini n’est qu’un voile, et si le voile est autorisé dans l’espace public en France, par conséquent, les maires n’ont pas le pouvoir d’interdire ce nouveau vêtement de bain à la plage. Pour eux, même si le voile ou le burkini, est un signe religieux, rien dans la législation française n’interdit de le porter à la plage. Pour les partisans des arrêtés, l’interdiction du burkini à la plage est motivée d’une part, par la laïcité, les bonnes mœurs, l’hygiène et l’égalité des sexes, et d’autre part, par le risque de trouble à l’ordre public. C’est ce qui m’a amené à parler d’arrêtés fourre-tout dans mes articles, même si je ne suis pas pour le port du burkini! D’ailleurs, devant le Conseil d’Etat hier, les avocats de Villeneuve-Loubet, n’ont défendu qu’une seule justification de l’arrêté de la commune, le dernier, c’était le seul qui était défendable sur le plan juridique.

Dans l’ordonnance qu’il a rendue aujourd’hui, « le juge des référés du Conseil d’État rappelle que le maire est chargé de la police municipale. Mais il souligne, conformément à une jurisprudence constante depuis plus d’un siècle, que le maire doit concilier l’accomplissement de sa mission de maintien de l’ordre dans la commune avec le respect des libertés garanties par les lois. » Le juge précise que « les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent donc être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public (...) et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. » Et puisque « aucun élément produit devant lui ne permet de retenir que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté... de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes », le juge des référés du Conseil d’État considère que « le maire ne pouvait... édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. » Par conséquent, « il annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice et ordonne la suspension de cet article (mesure d'interdiction) ».

Le risque de trouble à l’ordre public est une notion que beaucoup de gens en France, au Liban et ailleurs, dans les pays arabes et anglosaxons, n’ont pas vraiment compris ou n’ont pas voulu comprendre ! La présence de femmes voilées ou en burkini (dont le port est essentiellement motivé, quoiqu’on dise, par des considérations communautaires pour certaines et islamistes pour d’autres), dans un lieu aussi dense et exiguë qu’une plage, dans des conditions aussi propices à l’énervement que sous un soleil de plomb et partageant le sable et le sel, dans un contexte post-traumatique dû à plusieurs attentats terroristes à caractère islamiste, où il est difficile d’assurer l’ordre, eh oui, peut générer des troubles à l’ordre public. Ce fut le cas à Sisco en Corse ! Au passage, sachez qu’on estime qu’une ville frappée par un acte terroriste important, met près de 9 mois pour retrouver une vie normale. La France n’a pas eu le temps de panser ses blessures depuis l'attaque odieuse de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Elle a été frappée par au moins quatre attaques terroristes traumatisantes (Charlie Hebdo-Hyper Cacher, Bataclan-Paris-Saint Denis, Nice, Saint-Etienne-du-Rouvray). Il n’empêche que le port du burkini est un épiphénomène en France. On en a fait une affaire d’Etat. Une enquête du Monde révèle que sur les 31 communes qui ont pris des arrêtés anti-burkini, seules 4 ont verbalisé des femmes. 94% des 32 PV ont été dressés à Cannes et à Nice, 75% dans cette dernière ville. On apprend également que la commune de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), a déjà un arrêté qui interdit de « se baigner habillé » et depuis 2013 svp, sans que les maires de Nice et de Cannes, ainsi que le Comité contre l’islamophobie en France, ne s’en soucient.

Allez, une anecdote avant de passer aux choses sérieuses. Toute polémique surréaliste apporte son lot de commentaires surréalistes. La palme d’or revient à un intervenant sur mon mur, qui a invoqué la sécurité pour justifier les interdictions, mais d’une drôle de façon. « Oui, sous le Burkini, elles (les femmes) peuvent porter une ceinture explosive, c'est un mode comme un autre, pourquoi pas? Sous le voile, un homme récidiviste peut se cacher et passer sous la barbe de la police et traverser des frontières. C'est réduire à néant tout le système d'identification de la personne. » Comment répondre sérieusement à cette logique, autre que par le sarcasme. « Mais voyons, des terroristes en burkini, on en attrape tous les jours en ce moment sur les plages de France et de Navarre. D'ailleurs, on a constaté qu’ils opèrent souvent en binôme, tantôt avec des Ninjas, tantôt avec des Pokémons! Allez, go, attrapons-les. Minute, dites-moi avant, on fait quoi des manteaux, impers, parkas, soutanes, doudounes, capuches, casquettes, bonnets, écharpes, lunettes de soleil, lunettes de nage, combinaison de ski, masques de snowboard? Et pour les tailles XL, XXL, XXXL? Et concernant les sacs à main, serviettes, mallettes, sacs à dos, sacs marins, besaces, bananes, valises? A la poubelle et on brule tout ? Vous vous rendez compte des pertes économiques et de la pollution atmosphérique! Ça serait une vaste fumisterie. » Du grand n'importe quoi, comme toute cette affaire. On aurait dû commencer par les sages du Conseil d’Etat. Cela aurait protégé certains esprits de l’insolation politique.

Le Conseil d’Etat est naturellement souverain. Sa décision doit être appliquée comme l'exige un état de droit digne de ce nom. Ce respect n’autorise aucune dérogation. Les arrêtés contre le port du burkini sont donc suspendus directement à Villeneuve-Loubet, par l'ordonnance elle-même, et indirectement dans les 30 communes de France ayant légiféré sur la question, par la jurisprudence créée par le jugement d'aujourd'hui.

Cette décision historique ne doit dispenser personne de porter une réflexion profonde sur la polémique de l’été 2016, qui restera forcément dans les annales. Cela concerne tout le monde, mais plus particulièrement les protagonistes du feuilleton estival, les maires qui ont pris ces arrêtés, de bonne ou de mauvaise foi, ainsi que les burkinistes qui se sont rendues à la plage, de bonne ou de mauvaise foi également. Au rythme des échéances électorales et vu la bonne santé du populisme et la radicalisation des esprits des uns et des autres, on allait droit dans le mur. Le débat autour de cette question a révélé qu’il existe des clivages sociaux inquiétants au sein de la société française. Le Conseil d’Etat est intervenu pour y mettre un terme en rappelant le droit en la matière. Mais, cela ne semble pas dissuader les ténors de la droite et de l’extrême droite, à l’exception d’Alain Juppé, le favori de la primaire de novembre, de vouloir écrire un autre feuilleton pour l'automne et de réclamer en chœur une loi nationale pour interdire le port du burkini. Et pourtant, à l'issue de premier round autour du burkini, deux évidences républicaines s'imposent.

D’une part, il doit être clair pour les uns, les maires antiburkinistes et leurs partisans, mais aussi, les leaders du parti Les Républicains (je pense notamment à la déclaration irresponsable de Jean-François Copé, ancien président de l'UMP et candidat à la primaire présidentielle des Républicains : « La décision du Conseil d’Etat est la preuve qu’il faut une loi pour interdire le burkini »), que la fin ne justifie pas les moyens et que la politique politicienne et de confrontation n’est pas dans l’intérêt général de la société française. Tout politicien ou citoyen qui se soucie un tant soit peu des dérives communautaires en France, doit réfléchir sérieusement aux « moyens efficaces » pour les contrer. Ces arrêtés vestimentaires, comme toute restriction abusive des libertés fondamentales religieuses, conduisent exactement à l’effet inverse de ce qui est escompté, en amplifiant le communautarisme et en accélérant le phénomène.

D’autre part, il doit être tout aussi clair pour les autres, les burkinistes et leurs partisans, mais aussi les personnalités françaises musulmanes influentes (je pense notamment à la déclaration tout aussi irresponsable de Marwan Muhammad, un franco-égyptien, directeur exécutif de l'association Collectif contre l'islamophobie en France, qui a déjà fait du lobbying pro-islamiste dans le passé, selon des révélations du Canard Enchainé il y a une dizaine de jours : « Malheureusement, et ça, c’est quelque chose qui va rester dans l’histoire de notre pays, on ne peut pas retirer le tort qui a été causé, on ne pas retirer les humiliations qui ont été provoquées »), que tout ce qui est permis n’est pas forcément souhaitable et l’affichage communautaire n’est pas dans l’intérêt général de la société française. Tout Français ou étranger de confession musulmane, qui se soucie un tant soit peu des dérives islamophobes en France, doit réfléchir sérieusement aux « moyens efficaces » pour les contrer. Cette tenue de plage, comme tout affichage ostentatoire de l'appartenance communautaire et religieuse en public, conduit exactement à l’effet inverse de ce qui est escompté, en amplifiant l’islamophobie et en accélérant le phénomène. 

Toujours est-il que c'est exactement ça la France ! Elle n'est ni pour les burkinistes, ni pour les obsédés par les burkinistes, elle est pour les libertés fondamentales, fidèle à elle-même et aux valeurs universelles issues de la Révolution française: la liberté, l'égalité et la fraternité.