lundi 1 août 2016

‘7zaro ibn min el chab el 7elo’, devinez c’est le fils de qui ? Réflexions sur la mixité et la radicalisation dans la société libanaise (Art.378)


Source : Hussein Ezzeldine
Ciel, la semaine est déjà engagée ! Allez, je me dépêche. Faisons les présentations. Devinez qui c’est ? 7zaro ibn min el chab el 7elo ! Figurez-vous que ce sympathique jeune homme en Nike-Timberland et portant un survêt est le fils de sayyed Hassan Nasrallah. Eh oui ! La fille serait une présentatrice d’une chaine de télévision, beaucoup plus jolie nature et dans l’intimité que fardée sur le petit écran. Mais bon, allez expliquer à certaines femmes libanaises que trop de maquillage tue le maquillage ! C’est pire que d’expliquer à un ex-ministre de l'Economie de l’URSS que trop d’impôt tue l’impôt ou à Donald Trump, que trop de conneries ne tuent pas la connerie.

Cela étant dit, d’abord, ne me dites pas que vous n’êtes pas surpris ? Je parie que personne n’a imaginé le fils du chef du Hezbollah comme ça, aussi décontracté !

Sans aller jusqu’au Bloody Mary, il manquait à cette intimité un tableau romantique sur le mur et une lumière ambiante tamisée. Mais là n’est pas la question, notre problème est ailleurs. Comme le fait remarquer avec beaucoup d’humour Hussein Ezzeldine, chez qui j’ai découvert la photo, cette « apparition mixte » sur le même canapé du fils du chef du Hezbollah avec cette belle femme fait mauvaise impression.

Source Al-Modon
Explication. Il y a trois semaines, la municipalité de Jebchit, située à Nabatiyé au Sud du Liban, dans le fief du Hezbollah, a « recommandé » au teneur d’un cybercafé de la ville, de « respecter » la séparation des sexes et de fermer sa boutique 30 minutes aux heures de la prière (celle du fajr étant vers 4h du matin en ce moment, en pratique, cela revient à fermer 2 heures 4 fois/j), ainsi qu’une partie de la journée de vendredi. Selon Mohammad Fahas, le président du conseil municipal (de confession chiite), il s’agit de « normes morales » dont le but étant de « préserver les valeurs de notre société », car « nous n’avons pas de filles qui se mêlent aux garçons jusqu’à minuit » ou qui « fument le narguilé avec eux ». Et qu’en est-il de la fermeture aux heures de la prière ? « Nous n’allons obliger personne de fermer par la force. Tout ce dont il a été question, c’est que nous avons rappelé nos valeurs morales ». Non mais quoi encore, nous vivons déjà sans eau et sans électricité 24h/24, est-il nécessaire d’y rajouter maintenant sans mœurs et sans retenue ? Quelques jours plus tard, c’est autour de la municipalité d’Aitaroun, toujours dans le Sud, toujours dans le fief du duo chiite, le Hezbollah (Hassan Nasrallah) et Amal (Nabih Berri), de décider d’interdire la mixité à la piscine en imposant des horaires pour les femmes et les enfants (8h-17h) et d’autres pour les hommes (18h-24h).

Pourquoi pas. Halte à la mixité, préservons « les valeurs ». Mais dans ce cas-là, que fait le fils de Hassan Nasrallah en toute intimité sur le même canapé à côté de cette jeune femme, Adam et Eve n’ayant rien trouvé de mieux que les coussins en guise de séparation ? Qu’en est-il des normes morales et des valeurs dans ce tableau de la vie quotidienne du fils du chef du parti chiite ? En tout cas, un peu de cohérence pourrait peut-être nous pousser à réfléchir d’abandonner les « nôtres » pour adopter les « leurs ».

En attendant, cette photo de Jawad Hassan Nasrallah en Nike-Timberland m’a rappelé aussi une partie hilarante d’un discours historique prononcé par Gamal Abel Nasser dans les années 60. Dans une salle comble, le légendaire leader arabe racontait avec sérieux et décontraction, ses mésaventures politiques et les magouilles des « membres du terrorisme du parti des Frères musulmans », mouvement islamiste fondé en 1928 par Hassan el-Banna, le grand-père de « monsieur-qui-veut-un-moratoire-sur-les-lapidations-des-femmes », Tareq Ramadan. Durant cette rencontre, le raïs s’est mis à conter une anecdote très intéressante sur le port du voile islamique en Egypte (3:11-5:20). Il a expliqué comment un jour de l’année 1953, le Guide général des Frères musulmans est venu le voir et lui a demandé en premier « d’instaurer le port du voile en Egypte et faire en sorte que chaque femme marchant dans la rue le porte ». Comme on le voit dans la vidéo, tout le monde riait sur ce sujet qui déchaine les passions de nos jours. Nasser répète avec ironie, « chaque femme marchant (dans la rue) ! » On entendra même quelqu’un de la salle criait : « Il n’a qu’à le porter lui-même ». Sous les applaudissements, Nasser continua avec un grand sourire narquois. « Et moi je lui ai dit : ‘On dirait que c’est le retour à l’époque de celui qui gouvernait au nom d’Allah, qui ne laissait pas les gens marchaient dans la journée, mais uniquement  la nuit. A mon avis, il revient à tout un chacun, de faire cela chez lui ». L’islamiste lui répondit que c’était à lui de le faire puisqu’il était le dirigeant. C’est alors que Nasser attira l’attention de son interlocuteur sur le fait que sa fille qui suit des études de médecine, ne portait ni voile ni quoi que ce soit. Pendant que les gens riaient à gorge déployée, applaudissaient et sifflaient bruyamment, el-raïs rajouta : « Pourquoi tu ne lui fais pas porter un voile ? Si tu n’arrives pas toi, à faire porter le voile à une seule personne qui est ta fille, tu veux que je descende dans la rue pour mettre 10 millions de voiles (aux femmes) du pays ? » La foule était galvanisée. Il continua avec une réflexion sur la condition féminine (5:21-6:36). « Le travail est une protection pour la femme. L’empêcher de travailler est contre son intérêt ». Il a expliqué aussi comment le Guide des Frères musulmans lui a demandé de fermer les théâtres et les cinémas. Il a ironisé en disant « on a qu’à les garder dans l’obscurité ». L’audience était morte de rire, mais vous verrez, c’était vraiment une autre époque. Une époque où l’on pouvait voir aussi le président tunisien Habib Bourguiba, ôter avec une grande délicatesse, de ses propres mains, le voile de femmes tunisiennes craintives venues à sa rencontre. On a du mal à le croire de nos jours, le voile n'a pas vraiment fait partie de la culture arabo-musulmane contemporaine.

Toujours est-il que nous sommes tout ouïe et nous ne demandons qu’à croire Hassan Nasrallah dans ses récurrentes diatribes contre l’Amérique et les Etats-Unis, comme lorsqu’il nous affirment que « le but des États-Unis est de dominer notre région » ou que « les États-Unis touchent même à notre culture et notre religion » (23 octobre 2015), mais enfin, s’il ne parvient pas à empêcher son propre fils de porter deux célèbres marques américaines, Nike & Timberland, et d’utiliser deux célèbres réseaux sociaux américains, Facebook et Twitter, comment peut-il espérer la moitié d’un quart de seconde de nous « désaméricaniser » pour mieux nous « iraniser » ?

Enfin, cette photo me rend quelque peu perplexe. Certes, l’habit ne fait pas le moine. Une casquette et un sweat-shirt de marques américaines, ne font pas forcément du fils du chef du Hezbollah, un pacifiste ouvert d’esprit, adepte de l’art de vivre d’amour et d’eau fraiche. Et pourtant, je suis persuadé que Jawad boit sans doute du Coca/Pepsi-Cola (il en a bu déjà surement), possède probablement un iPhone et écoute peut-être les Red Hot Chili Peppers chanter « Throw away your télévision » dès que son père apparait sur le petit écran. Non mais, allez savoir, l’habit fait peut-être le moine et Jawad est contre le boycott de l’élection présidentielle au Liban par le parti de son père ou l’établissement d’une République islamique (chiite) au pays du Cèdre comme l’a affirmé en début d’année cheikh Naïm Qassem. Peut-être que j’ai tort sur toute la ligne, Jawad Hassan Nasrallah, sous cet air décontracté, poète à ses heures perdues, adhère pleinement aux thèses du Hezbollah et même ira plus loin le jour de la relève.

Déjà sur sa page Facebook le fils d’Hassan Nasrallah se présentait comme membre de « Wilayatul Fakih Party » (novembre 2014) et sur Twitter comme « le fils de

Wilayat el-Fakih » (mars 2015) -qui je le rappelle, représente une sorte de « oumma chiite », une entité idéologique transnationale adoptée par Al Wali el Fakih, Rouhollah Khomeini, et dirigée aujourd’hui par le Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei- et non comme « l’enfant de la patrie » de la République libanaise ! Aujourd’hui, le fils d’Hassan Nasrallah n’est plus sur Facebook et contrairement à ce qu’a affirmé le quotidien Al-Akhbar au mois de mai dernier pour rassurer les fans, Jawad Nasrallah n’a pas fermé son compte Twitter pour des « raisons personnelles », celui-ci a été bel et bien suspendu par la compagnie américaine (@Jwdnsrlh). Plus grave encore, selon le Shin Bet, le service de sécurité intérieur israélien, Jawad Nasrallah aurait constitué et financé via les réseaux sociaux une cellule palestinienne, basée à Tulkarem en Cisjordanie, qui projetait mener des attaques terroristes en Israël, dont des attentats-suicides. Suite à ces révélations au début de cette année, le fils du chef du Hezbollah avait réagi avec deux tweets ironiques : « Comment on réveille une cellule dormante ? » et « Selon vos cellules, vous serez récompensés (par Allah) ».

Source : Boutros Mouawad
Dans un souci d’unité nationale et d’équilibre islamo-chrétien, je tiens à vous informer par ailleurs que de l’autre côté du Liban, et d’après une publication de Boutros Mouawad sur son mur, la municipalité chrétienne maronite de Zgharta, a quant à elle « imposer » à tous ceux qui veulent faire la moindre activité publique, de « demander » une approbation préalable. Eh oui, tout cela prouve que du Sud au Nord, comme de l’Est à l’Ouest, on retrouve toujours chez les uns et les autres, qu'ils soient chiites, sunnites, druzes ou chrétiens, la même tentation totalitaire de contrôler la liberté des citoyens libanais et certains de leurs droits, pourtant garantis par la Constitution du Liban et les lois en vigueur au pays du Cèdre.

Depuis bien longtemps, profitant du fait que l’Etat libanais est occupé à gérer des situations politiques et sécuritaires graves, et entre parfois en hibernation, été comme hiver, des municipalités libanaises, qui ont été particulièrement incompétentes dans la gestion de la longue crise des déchets, prennent des initiatives, qui le moins qu’on puisse dire sont étranges à la « culture libanaise ». Pas qu’au Sud du Liban. Il y a eu des cas à Tripoli et à Baalbek. Et même, à Beyrouth et dans le Mont-Liban. Bon, ce n’est pas un phénomène répandu. Mais, ces cas sont inquiétants. Vendre de l’alcool dans certains endroits au Liban, peut aujourd’hui poser des problèmes (ex. Nabatiyé). Servir à boire et à manger pendant la journée au cours du mois de ramadan, peut attirer des soucis aux restaurateurs et aux consommateurs musulmans (ex. Tripoli). Restreindre la libre circulation des ressortissants syriens sur des décisions municipales et non ministérielles est monnaie courante au Liban, dans toutes les régions libanaises, notamment chrétiennes. Même le sport n’est pas épargné des choix arbitraires discriminatoires des municipalités. Dernière décision scandaleuse en date celle de la municipalité de Khiyam (45 000 habitants), qui a décrété que la gent féminine ne peut pas participer à la course à pied prévue cet été. C’est ce qui a amené certains à se demander « quelle différence peut-il y avoir, entre interdire aux femmes de conduire (en Arabie saoudite) et les empêcher de participer à un marathon (au Liban) ? » et beaucoup de compatriotes à parler de mesures politiques qui ne sont pas sans rappeler celles de Daech. Ni le parrainage de l’événement sportif par le ministre libanais de la Jeunesse et du Sport, ni la violation caractérisée de la Constitution libanaise ne semble poser la moindre insomnie aux conseillers municipaux de cette localité chiite dominée sur le plan politique par les partis de Hassan Nasrallah et de Nabih Berri.

Alors qu’à Bordeaux, sur une initiative révolutionnaire d’un imam d’origine marocaine, Tareq Oubrou, une grande figure de l’islam (sunnite) de France, tous les fidèles prient dans la même mosquée sans aucune séparation, afin « qu’hommes et femmes puissent se sentir dans le même espace sacré », voilà où nous en sommes aujourd’hui au Liban, à craindre non seulement la mixité dans un cybercafé, à réclamer la séparation des hommes et des femmes dans une piscine et à interdire aux femmes de participer à une course à pied, mais aussi à demander aux citoyens de déclarer toute activité publique, à empêcher les Syriens de circuler librement et à bannir la vente d’alcool ! Au lieu d’être un exemple à suivre dans un monde libre et libéré, nous sommes réduits de nos jours à suivre un monde radical et radicalisé, en s’inspirant des pratiques de Daech, de l’Arabie saoudite et de la République islamique d’Iran. Cela fait peut-être partie de ce que le Hezbollah appelle l’émergence d’une « société résistante ». En tout cas, voilà ce qui se passe quand l’Etat ne parvient pas à étendre sa souveraineté sur tout le territoire libanais sans exception et à imposer la loi à tous les Libanais sans discrimination. Voilà aussi où l’on peut se retrouver quand les citoyens acceptent qu’on restreigne leur liberté. Cette « radicalisation » d’une partie de la société libanaise conduira inévitablement si elle se répand à la « fédéralisation » de l’autre partie de la société libanaise. D’ailleurs, ces « mesures » peuvent d'ores et déjà être considérées comme une forme de fédéralisme. Ce n’est pas plus mal diront certains ! Enfin, la petite souris ne nous dit pas, qui a pris la photo de Jawad Hassan Nasrallah. Ah, non ! Vous croyez ?