jeudi 9 juin 2016

Le rapport avec la France est tout aussi difficile quand on se nomme Jean Reno que lorsqu’on s’appelle Karim Benzema ou Gérard Depardieu (Art.365)


Léon, un film de Luc Besson (1994)
Puisque j’aime beaucoup Jean Reno et tous ses personnages, pourquoi faut-il que Godefroy de Montmirail, le seigneur de Jacquouille la Fripouille, ait des déclarations lors de sa traversée du couloir des temps modernes, qui laissent quelque peu à désirer ?

Pour l’acteur français, « Ceux qui mettent en avant les lois par rapport à la religion peuvent s’intégrer. Mais ceux qui décident de rester dans une culture basée sur la religion auront des problèmes dans les écoles et les autres institutions de la République ». Précision utile, il ne parle pas des Mormons qui font horreur à Cantona ! Il y a peut-être un fond de vérité dans ce qu’il dit, mais en visant sans les nommer les personnes de confession musulmane et en généralisant, Jean Reno s’est exprimé avec un peu de naïveté, mais pas par islamophobie. En tout cas, ces propos publiés par El Mundo ont fait polémique de l’autre côté des Pyrénées. Et pourtant, ce n’était pas ce qu’il avait dit de plus choquant.

« Si vous regardez les gens qui arrivent en Europe, vous réalisez que ceux qui se sont intégrés sont les non-musulmans ». Minute ! Là, ce n’est plus de la naïveté, c’est de l’ignorance qui conduit un grand acteur comme Jean Reno aux confins de l’islamophobie, qui comme toute phobie, passe par la déformation de la réalité, la généralisation, la stigmatisation et la démagogie. Et là encore, ce n’est pas ce qu’il a dit de plus choquant au quotidien espagnol, au moins pour moi.

« Je ne suis pas totalement Français... Je ne dispose pas du type de personnalité qui peut être apprécié en France. Je ne m'appelle pas Gérard Depardieu... Les Français m'ont donné des médailles, ils me respectent et moi aussi je respecte la France, mais mes racines sont espagnoles, andalouses ». Et ça passe comme une lettre à la poste, à juste titre. Pas de vagues hexagonales, à juste raison. La fachosphère reste démobilisée, pourvu que ça dure. Mais à vrai dire, ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? Karim Benzema ! Justement, on en a parlé il y a quelques jours. « L’Algérie c’est le pays de mes parents, c’est dans le cœur. Mais bon après, sportivement, c’est vrai que je jouerai en équipe de France. Je serai là toujours présent pour l’équipe de France (...) c’est plus pour le côté sportif, parce que l’Algérie c’est mon pays, voilà, mes parents ils viennent de là-bas. Après, la France, c’est plus sportif. » Allez, faisons un pari, dans 48 heures top chrono, personne n’ira rappeler à l’acteur d’origine espagnole sa métaphore agricole prononcée à l’âge de 67 ans. Par contre Karim Benzema, 10 ans après, n’arrive toujours pas à se débarrasser de ce tatouage fait à l’âge de 19 ans. Peut-être parce qu'il n'y tient pas. En tout cas, être Français et fier de ses origines espagnoles ou italiennes, pas de souci. L’être de ses origines algériennes ou libanaises, peut soulever des soupçons. Et si on est musulman, ça pourrait compliquer la donne.

Et ce n’est pas tout. Reno qui avait l'habitude de « se considérer perpétuellement comme un immigré » vit à New York car « là-bas, tout le monde est immigré. De ce fait, j’ai moins l’impression d’être un immigré aux Etats-Unis qu’en France ». Pauvre chou, nous sommes pareils ! Ce n’est évidemment pas ce sentiment qui dérange, tout étranger l'éprouve et je le partage pleinement, mais c'est plutôt le traitement discriminatoire de ce genre de déclaration, selon des considérations liées aux origines et à la religion, qui agace.

La polémique a forcé Jean Reno à publier un communiqué le lendemain, mardi, où il a accusé le journal espagnol d’avoir déformé ses propos car en réalité, il a voulu tout simplement dire que « l'intégration pouvait être plus difficile lorsque la religion était placée au-dessus des lois de la République ». Il a assuré qu’il ne voulait pas exprimer d’aucune manière « l'incompatibilité de la religion (musulmane) avec les lois de la République ». Nous le croyons volontiers, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de nous poser une question logique : pourquoi lui, Jean Reno, n’a-t-il pas pu « s’intégrer » comme il faut et « se sentir totalement Français », alors qu’il est « non-musulman », que cela fait plus de 46 ans qu’il est « arrivé en Europe » (ses parents avaient fui la dictature de Franco et s’étaient installés au Maroc), qu’il « met en avant les lois par rapport à la religion » et n’est pas « resté dans une culture basée sur la religion » ? Eh oui, la cohérence est un gage de crédibilité. Enfin, et si en fin de compte, le rapport avec la France est tout aussi difficile quand on se nomme « Juan Moreno y Herrera-Jiménez » que lorsqu’on s’appelle « Karim Benzema » ? Et même « Gérard Depardieu » ! La preuve, l’acteur français est citoyen russe depuis 2013. J'ai bien dit "aussi" et non "autant", nuance. La difficulté n'étant pas par ailleurs, de même nature, cela va sans dire.

Allez, place à la détente. Terminons cette note par une anecdote. Je me trouvais dans une rame de métro à Paris, très tard dans la nuit. Debout, tenant la barre centrale. Je discutais avec une amie, quand soudain un black balèze me balance : « Arrête de postillonner sur ma main ! » Aussitôt et sans plus tarder, je lui réponds : « T’as qu’à poser ta main ailleurs ! » Ohlala, des étincelles fusèrent de nos regards qui s’étaient croisés. Inutile de vous dire que nous étions à deux doigts de la bastonnade. Et tout d’un coup, le mec cogne son copain avec son coude et lui dit : « Putain, mais c’est Léon ! », en référence au tueur à gages et au grand cœur, du film culte de Luc Besson (1994). « Mais putain, c’est vraiment Léon ! », confirma le covoyageur. Eclats de rire communicatifs à toute la rame. Le comble c’est que les deux gars ne semblaient pas plaisanter. On a fini bras dessus, bras dessous. Nous avons bu au goulot et nous nous sommes postillonnés à gogo les uns sur les autres, dans la joie et la bonne humeur. Les années passèrent et je suis resté reconnaissant à Léon de m’avoir extirpé un soir d'un sale pétrin.