mercredi 17 juin 2015

L’envers du décor du mariage en grande pompe de la fille d’Issam Farès. « Un milliardaire, combien de boursiers ? » (Art.293)


Mariage de Noor Farès, la fille de l’homme
d’affaires et ancien vice-Premier ministre du
Liban, le 13 juin 2015, à l’église Sainte
Catherine à Honfleur en France

C’est immuable, les frivolités des gens aisés passionnent les foules. Nous avons encore eu une nouvelle démonstration il y a trois jours. A ce qu’il parait, Noor Farès, une jeune joaillère libanaise, que je ne connais point, a dit « oui » à Alexandre Khawam, le vice-président d’une société anglaise de gestion d’actifs, Africa Private Equity, qui appartient à Duet Group -en gros, un financier, Libanais lui aussi- que je ne connaissais pas non plus. Enchanté, très chers compatriotes. Cette union amoureuse aurait pu passer inaperçue si la mariée n’était autre que la fille d’Issam Farès, un milliardaire libanais, homme d’affaires qui emploie plus de 70 000 personnes dans le monde et ancien vice-Premier ministre du Liban entre 2000 et 2005. Si on apprend de l’Encyclopédie libre, que cet ex-député du Akkar entre 1996 et 2005 est « engagé dans le mécénat », ce qui est plutôt flatteur, on découvre dans la foulée qu’il est aussi « proche de la famille Assad », la tyrannie qui martyrise le Liban et la Syrie depuis plus de 40 ans, ce qui est beaucoup moins glorieux.

Eglise Sainte Catherine
à Honfleur, Basse-Normandie.
Monument historique,
XVe-XVIe siècle
(Photos : Pirmon)

La lecture en diagonale de la presse nationale libanaise et française, qui s’est mise à la mode people, nous informe que le mariage civil du jeune couple avait eu lieu début mai en Angleterre et que le mariage religieux s’est déroulé ce weekend au sein de l’église Sainte-Catherine en Normandie, un magnifique monument historique recouvert de bardeaux en bois de châtaignier, dont la partie la plus ancienne date du XVe siècle. Des Rolls-Royce ont déposé les mariés au pied d’immenses glycines blanches. Ah, ça devait sentir si bon. Selon Le Pays d’Auge, la mairie de Honfleur avait prévenu les habitants : « Ces adorables personnes sont, semble-t-il, importantes et connues dans le monde et célèbres dans les médias. Nous devons donc les protéger et leur permettre de se marier en toute tranquillité ». J’aime beaucoup ce « semble-t-il » et cette « tranquillité », pour le côté sarcastique qu’ils m’inspirent.

Décoration de l’entrée de Sainte-Catherine
avec des glycines blanches

Les festivités mondaines pré et post-mariage se sont déroulées au haras de Manneville, dit aussi château de Manneville, qui est la propriété du milliardaire libanais et qui se situe à Banneville-la-Campagne, près de la ville de Troarn. A ne pas confondre avec le vrai Château de Manneville de Lantheuil, qui se trouve à 25 km du haras, et qui n’appartient pas à Issam Farès. La journaliste Anissa Kaci de Madame Figaro prévient ses lectrices et ses lecteurs alléchés, « si vous avez raté le hashtag #NoorandAlex ce week-end, c'est que vous étiez probablement en détox de réseaux sociaux ». On a bien fait alors. A l’en croire, « la ville de Honfleur a tout simplement été privatisée par la famille Farès », allons bon !, afin d’offrir aux convives la veille du mariage de la fashionista et du financier, une soirée intitulée « Les Mille et une nuits » avec comme dress code « l’Indian style » svp, avec des Indiens en chair et en os et torse nu, où les bottes de foin colorées, les œillets d'Inde et les bulles géantes de savon formaient un sacré mélange qui a laissé notre légendaire et douce Schéhérazade dubitative en regardant Giovanna Battaglia, Bat Gio pour les intimes, ancien modèle américain d’origine italienne de Dolce & Gabbana, actuellement rédactrice en chef de l’édition japonaise de Vogue et directrice créative du cabaret luxueux de Times Square, Queen of The Night, dans une mise en scène on ne peut plus grotesque.

Giovanna Battaglia, rédactrice en chef de
l’édition japonaise de Vogue, dans une
mise en scène on ne peut plus grotesque.


La journaliste Dita von Bliss elle, nous a expliqué dans L’Orient-Le Jour, que les convives ont eu droit aux traditionnelles dabké wou zaffé (bedoun saïyf wou terss), des échassiers et des cracheurs de feu (si ça leur fait plaisir !), 2réghil wou bessara (ya 3adra ya fatima dakhil esmik). Enfin, du folklore franco-libano-indien pour épater la galerie. Question cuisine, on pouvait se contenter de mné2ich, khebez mar2ou2 wou kebbé naïyé (honn baïyadouwa el 3ersenn). Wou yallé baddo yi7allé derso, il y avait l’incontournable Hallab tripolitain. A côté des lou7oum woul hoummos wel tabboulé, on retrouvait les cuisines françaises, italiennes, indiennes et iraniennes. Faut-il voir un message politique dans ce dernier choix ? Dita ne nous en dit rien.

Une belle prise de Noor Farès et
d'Alexandre Khawam, après leur mariage
civil en Angleterre début mai

On comptait entre 500 et 1 000 invités, aw heik chi. Pas beaucoup à vrai dire, si l'on tient compte de la notoriété du milliardaire et politicien libanais. Noor et Alex ont compensé avec les garçons et les filles d’honneur. Il y en avait pour dazintein, deux douzaines. Parmi les invités de marque, wa houna beito el qasid, figurait George Bush. Avec ma lecture rapide, je n’ai pas bien compris si c’était le père ou le fils. H or W, that's the question ? Qu’importe, les deux ex-présidents des Etats-Unis sont responsables du nouvel désordre moyen-oriental actuel et à venir. En tout cas, personne n’est venu des Bush. Ni le père, trop vieux, ni le fils, trop néocon, ni le frère, trop pris par son hommage de présidentiable au « brave Etat démocratique d’Israël » négligé par cet allergène, pour de nombreux ressortissants américains et libanais, Barack Obama. C’est c’là Jeb, comme on l’a bien vu durant la guerre de Gaza l’année dernier, avec ses 1 807 civils tués dont 302 femmes et 530 enfants, n’est-ce pas ? D’après une source anonyme qui a souhaité garder l’anonymat, le risque était grand surtout pour W, enno yékol serméyé. Les renseignements craignaient effectivement une « attaque au soulier », comme lors de sa conférence de presse à Bagdad en décembre 2008. Pourtant, tout a été passé au pif des chiens-renifleurs, surtout les lampadaires. Les canidés se sont régalés. Les autorités françaises étaient sur le qui-vive. Des hélicoptères et des motards de la gendarmerie nationale ont été mobilisés pour la tâche. Aux frais de qui ? Selon toute apparence, aux frais de la princesse, comme dirait l'expression, c'est-à-dire l'Etat français, pas la mariée libanaise. 

Le repas de noce dans les jardins
du château de Manneville,
que l'on voit en arrière plan

Toujours est-il, parmi les convives de nos contrées d'Orient, on a retrouvé « le bronzé ». Non, il n’a rien à voir avec Michel Blanc. Wlak eh, eh, magheiro, Emile Lahoud, le dernier président de la République libanaise sous occupation syrienne, un grand fan du Hezbollah et un homme de principes : on ne va pas à la piscine, le jour de l’assassinat d’un ancien Premier ministre. Enno, quand même ! Bon, okay, nous n’avons pas tous beaucoup d’occasions pour le montrer. Lui par contre, il a eu la chance de sa vie d’en apporter la preuve un 14 février 2005, à l’assassinat de Rafic Hariri. A côté de lui, un ex-Premier ministre libanais, milliardaire également, Najib Mikati, un autre homme de principes, qui a transformé lui aussi, « nul n’est prophète en son pays » en « nul grande fortune ne marie sa progéniture dans son pays ». Pour mettre en application ses principes, il a fait un geste généreux pour l’économie marocaine lors du mariage de son fils, il y a quelques mois, partant du principe que le Liban et ses 4 millions de citoyens, frappés de plein fouet par le marasme économique de 66 milliards $ de dette et la présence de 1,5 million de réfugiés syriens, record atteint sous son règne, et par l’instabilité qui découle de la guerre civile en Syrie, n’en ont plus besoin, ils sont déjà au fond du gouffre. On a reconnu aussi dans la sélecte foule Gebrane Bassil et Marwan Hamadé, pas en couple évidemment, chacun avec sa dulcinée. Le ministre libanais des Affaires étrangères, dont on n'a pas su s'il venait à titre personnel ou en tant que représentant de l'Etat libanais, ce qui devrait déterminer qui paie quoi, s’est montré d’une grande discrétion puisqu’il n’a publié sur sa page Facebook qu’une photo d’ambiance sans la moindre légende ni sur le lieu ni sur l’événement en question, seule l’apparition du bâtiment historique en arrière-plan, l’avait trahi. Faut-il voir dans cette discrétion inhabituelle, une réponse à notre précédente question ? Mystère et boule de gomme.

Château et haras de Manneville à
Banneville-la-Campagne en Normandie,
propriétés d’Issam Farès, ancien
vice-Premier ministre du Liban (2000-2005)
et ex-député du Akkar (1996-2005)

Le conte de fées dit que trois hôtels Barrière de Deauville ont été privatisés pour loger les heureux invités -le Normandy, le Royal et l’hôtel du Golf- où nos icônes nationales, Gibran Khalil Gibran et Faïrouz, attendaient les invités dans leurs chambres avec tawlit zaher, alchine wou 7elwéyett. Kif wou leich wou chou hal bazar, je n’en sais rien. Toujours est-il qu’on ne peut que souhaiter aux jeunes mariés, notamment à la socialite Noor Farès -attention, c’est avec un seul « s », cela va de soi- qui m’a l’air charmante, et authentique dans son genre, une vie heureuse et pleine d’amour. Malgré le fait que cette union fut conclue en grande pompe, il faut avouer que nombreux mariages au Liban se révèlent tellement plus pompeux, pour beaucoup moins que cela. Enfin, toute cette introduction pour dire que la présence des deux milliardaires de mon pays, Issam Farès et Najib Mikati, m’a fait penser à la célèbre boutade de Staline : « Le Pape ! Combien de divisions ? » Eh bien, « Un milliardaire ! Combien de boursiers ? » On peut naturellement désapprouver les choix politiques et économiques de Rafic Hariri, mis en œuvre entre 1990 et 2005, mais une chose est sûre et certaine, aucune grande fortune du Liban, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues, n’a permis à autant de jeunes libanais d’accéder à l’enseignement supérieur. Rafic Hariri, c’est 36 000 boursiers.