samedi 30 mai 2015

Finale de la FIFA : le « Corleone suisse » contre le « prince arabe », le match Nord/Sud (Art.290)


En haut, Sepp Blatter annonçant l’attribution
du Mondial 2022 au Qatar (2010)
En bas, le pape François recevant le prince
Ali Bin al-Hussein au Vatican (2015)
Il faut tout de même reconnaitre cette qualité à Joseph Sepp Blatter, l’homme n’a pas peur du ridicule. Ni de se retrouver à la tête d’une institution sportive à 79 ans, ni de voir son long règne sur la FIFA entaché régulièrement par les affaires de corruption, ni même de briguer encore un mandat présidentiel malgré certains soupçons qui pèsent sur lui depuis l’arrestation spectaculaire il y a trois jours de plusieurs membres de son organisation.

C’est un euphémisme de dire que « l'homme qui fait la pluie et le beau temps sur le foot mondial », comme on peut le lire dans le dernier numéro du magazine So Foot, est une personnalité contestée. « L’homme d’affaires » suisse, appellation commune svp, qui préside la Fédération Internationale de Football Association, est impliqué ou soupçonné de l’être, dans différentes affaires de corruption, à commencer par sa propre élection à la tête de la FIFA en 1998. Alors que le suédois Lennart Johansson était favori, comme par hasard, c’est lui qui est l’heureux élu. Comme par hasard aussi, après avoir dénoncé certaines pratiques douteuses au sein de la FIFA, l'achat de voix à 10 000 $ le vote, le président de la Fédération de Somalie de football, Farah Weheliye Addo, est mis à la porte de l’organisation, comme si de rien n’était.

L’histoire se corse quand on apprend que Sepp Blatter est surnommé « Vito Corleone » par David Triesman. L’ancien président de la fédération anglaise de football l’accuse d’avoir engagé la FIFA dans « une longue tradition de pots-de-vin et de magouilles » (2014). Il n’est pas le seul. Michel Zen-Ruffinen, secrétaire général de la fédération internationale pendant un temps, parlait déjà dès 2002, d’un « système Blatter » qui permet à 500 millions de dollars de s'évaporer sans laisser de trace. Cette déclaration lui a couté son poste, lui aussi. Pour Guido Tognoni, ancien cadre de l’organisation « (la FIFA) c’est une petite mafia... (son président) a toujours fermé les yeux et profité de ce système ». Il est là le fond du problème. Le cas Blatter est aggravé par ce fait que le président de la FIFA n’a pas pu et su faire face aux scandales qui ont éclaboussé la fédération au cours de sa présidence, voire il a tenté d’étouffer ceux qui le concernent, directement ou indirectement, d’une manière active ou passive, par conviction ou par omission, ce qui ne permet point d’écarter tous les soupçons qui l’entourent depuis 17 ans. Bien au contraire, son attitude vient souvent les confirmer.

Et des scandales autour de la FIFA, on n’en a pas manqué pendant le règne de Joseph Sepp Blatter. On trouve pêle-mêle :
- L’attribution contestée en 2010 des Coupes du monde de football de 2018, à la Russie, et surtout de celle de 2022, au Qatar (qui se déroulera pour la première fois de l'histoire en automne, entre le 21 novembre et le 18 décembre), où de forts soupçons de corruption pèsent sur certains membres du comité exécutif, conduisant au bannissement du président qatari de la Confédération asiatique du football, Mohammed bin Hammam. Sous la pression des professionnels du foot, une enquête a été menée, mais comme par hasard, son rapport qui est bouclé depuis de longs mois, n’a toujours pas été rendu public.
- Le démantèlement d’un trafic de billets lors du Mondial 2014 au Brésil, une affaire de 70 millions de dollars, où l’on retrouve le nom d’un Blatter, qui n’est rien d’autre que celui d’un neveu du vieux Sepp.
- Les conditions de travail abominables des immigrés au Qatar, qui meurent d’épuisement au vu et au su de tous, au cours de gigantesques préparatifs du pays pour le Mondial de 2022. Human Rights Watch dénonce, mais personne ne bouge à Zurich. On en dénombre déjà plusieurs centaines de morts suspectes (400 Népalais et 500 Indiens). Le Qatar interdit l’accès des ONG et des journalistes aux chantiers. Personne ne proteste, ni au niveau politique ni au niveau sportif. La Confédération syndicale internationale des travailleurs du bâtiment estime qu’au rythme actuel des décès sur les chantiers, le caprice du Qatar d’organiser une Coupe du monde, et cette attribution par la FIFA en dépit du bon sens, coûtera la vie à 4 000 ouvriers au total. Pour l’instant, ni la FIFA ni son président ne bronche.
- La tentative d’interdire le livre « Carton rouge » d’Andrew Jennings, publié en 2006, qui dénonce la première élection de Joseph Blatter en 1998, qui serait truquée, une dénonciation qui figurait déjà dans le livre « Comment ils ont volé le jeu » de David Yallop, publié en 1999.
- Les 40 millions d’euros de pots-de-vin qu’aurait touché son prédécesseur, le brésilien Joao Havelange, et son gendre, pour la gestion des attributions des droits télévisés pour la Coupe du monde par la société ISL (International Sport and Leisure), alors qu’il était lui-même secrétaire général de la FIFA.
- L’existence de matchs truqués et de détournements de fonds (dénoncés par le New York Times, 2011), ainsi que des soupçons sur l’attribution même du Ballon d’or.

Et comme si la réputation de la FIFA n’était pas suffisamment ternie par les scandales à répétition, et même s’il est blanchi à l’heure actuelle, pour de bon ou par manque de preuves, il existe une certitude, Joseph Sepp Blatter est bel et bien incapable de sortir la FIFA de la corruption qui la gangrène. Il n’est pas sûr non plus qu’il puisse sortir lui-même indemne de la tempête judiciaire transatlantique qui frappe la FIFA depuis mercredi.

L’affaire actuelle a éclaté au grand jour le 27 mai avec l’arrestation par la police suisse de neuf hauts responsables de la FIFA, dont deux vice-présidents et des présidents actuels et anciens de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF), et de cinq cadres d’entreprise liées à la FIFA. Tout ce beau monde est soupçonné par Loretta Lynch, la procureure générale des Etats-Unis, de « racket, fraude, blanchiment d'argent et corruption (...) et d'avoir systématiquement payé et accepté de payer plus de 150 millions de dollars en pots-de-vin et commissions occultes pour obtenir des droits médiatiques et marketing liés à des tournois internationaux de football ». La demande d’arrestation émane de la justice américaine qui s’est saisie car les faits ont eu lieu sur le sol américain et l’argent sale a transité par des banques américaines. Le ministère américain de la Justice précise « qu’il a l'intention de mettre fin à de telles pratiques de corruption... et de continuer à travailler avec d'autres pays dans le cadre de cet effort ». Les inculpés sont menacés d’extradition vers les Etats-Unis pour y être jugés « dans le cadre d’une participation à un régime d’enrichissement personnel mis en place depuis 24 ans, à travers la corruption du football international ». Selon le procureur fédéral de Brooklyn, Kelly Currie, « cet acte d'accusation n’est pas le dernier chapitre dans notre enquête ». L’affaire est donc loin d’être terminée. Pour le directeur du FBI, James Comey, qui a mené l’enquête d’investigation après l’attribution à la fin de l’année 2010 du Mondial 2022 au Qatar, alors que les Etats-Unis devaient l'emporter, « les accusés ont favorisé une culture de la corruption et de la cupidité qui a créé un terrain de jeu inégal en ce qui concerne le sport le plus important au monde ». Et même l’attribution du Mondial pour la première fois de l'histoire à un pays africain, qui fait toute la fierté du vieux Sepp, ne s'est pas faite dans les normes selon la ministre américaine de la Justice. « La Coupe du monde 2010 a été attribuée à l'Afrique du Sud (...) des dirigeants de la FIFA ont corrompu le processus en utilisant des pots-de-vin pour influencer la décision ». Et face à ce séisme qui frappe le monde du football, le porte-parole de la FIFA a réagi avec un détachement consternant. « Nous avons lu les comptes rendus des médias. Nous cherchons à clarifier la situation. Nous ne ferons pas de commentaire à cette étape ». C’est c’là oui.

La FIFA a été fondée par sept pays européens à Paris en 1904 dans le but de gérer et de développer le football dans le monde. Etant centenaire et du fait qu’elle brasse beaucoup d’argent aujourd’hui, tout le monde a déjà oublié qu’il s’agit officiellement d’une « association à but non lucratif ». Mieux vaut en rire ! Elle est actuellement composée de 209 fédérations, dont chacune regroupe des clubs de football locaux, gère les compétitions nationales et organise les matchs internationaux au nom du pays ou du territoire en question. Ce qui est extraordinaire dans le règlement interne de la FIFA, c’est le fait qu’au moins sur le plan organisationnel, tous les pays du monde se trouvent sur un pied d’égalité. Ainsi, des petits pays du foot comme le Liban ou le Zimbabwe, ont le même poids électoral lors de l’élection du président de la FIFA que de grands pays du foot comme l’Allemagne ou le Brésil, une voix par fédération. On est élu dès le 1er tour à la majorité absolue (2/3 des votants, 140 voix) et au 2e tour, à la majorité relative (105 voix). Idem pour le Comité exécutif de la FIFA, la Tunisie a le même poids que les Etats-Unis dans l’attribution d’un Mondial.

Pour le reste, je vous laisse imaginer tout ce qui peut se passer derrière les coulisses, au moment de l’élection du président de la FIFA ou lors de l’attribution des Coupes du monde à un pays donné. L’enjeu financier est considérable pour les deux parties. La FIFA détient les droits médiatiques de transmission des matchs et des droits marketing d’un Mondial. Elle les vend à des prix d’or comme tout le monde le sait. Et si elle peut se le permettre, c’est tout simplement grâce aux peuples du monde entier. A titre d’exemple, la superbe finale France-Brésil de 1998, a été regardée par 1,7 milliard de personnes, soit un quart des habitants de notre planète. Si peu de gens s’intéressaient au football, ces droits vaudraient des cacahuètes et Sepp devrait cuisiner la pomme de terre à toutes les sauces. En 2014, la FIFA a réalisé un chiffre d’affaires de l’ordre de 5,7 milliards de dollars, avec une progression de 36,5%, de quoi faire rager n’importe quelle entreprise du Cac 40 ou du NASDAQ. Au cours de la période d’exercice 2011-2014, qui correspond au Mondial du Brésil, la FIFA a encaissé 2,5 milliards de dollars de recettes télévisuelles et 2 milliards de dollars de recettes commerciales. Certes, une partie de l’argent est distribuée à la grande famille du football, mais ce n’est qu’une faible partie. Bon, on vous dira, que la majeure partie de ce pactole sert à l’organisation des compétitions sportives quand même. Ce qui est vrai. Mais, on ne vous dira pas que la FIFA consacre plus d’argent pour ses charges de fonctionnement que sur les programmes de développement du football dans le monde : 390 millions d’euros contre 350 millions d’euros pour l’exercice 2007-2010 / Mondial 2010 en Afrique du Sud, qui était pourtant un grand cru (600-900 millions d’euros de bénéfices nets).

L'hôtel Baur au Lac à Zurich où ont eu lieu les
arrestations des hauts responsables de la FIFA
Et là, on rentre au cœur du réacteur de la FIFA. Figurez-vous que cette « association à but non lucratif », ne publie pas la rémunération de ses hauts responsables, Blatter compris. Pire encore, les membres du Comité exécutif de la fédération internationale auraient doublé leurs salaires pour les faire passer à 180 000 €/an. Les revenus annuels du vieux Sepp sont estimés à un million de dollars. Et c’est sans compter les frais payés (déplacement, hébergement, restauration, etc.), tous les avantages en nature et bien entendu, les cadeaux tous azimuts. Pour vous donner une idée sur le train de vie des membres de la FIFA, sachez que les arrestations des accusés ce mercredi ont eu lieu à Zurich, la ville la plus cher du monde, dans un hôtel luxueux cinq étoiles du 19e siècle, le Baur au Lac, où la nuit dans une Deluxe double room exigüe de 35 m² revient à 1 000 $, et les différentes suites, où l’on est bien aise dans les 50 à 90 m² qu’elles assurent, coûtent entre 1 300 et 4 000 $ la nuit. Attention, breakfast & minibar sont bien évidemment inclus. Sepp Blatter est déjà descendu dans des suites à 20 000 € la nuit svp, lors du Mondial 2006 en Allemagne. Faites le calcul, c’est consternant. Et n'allez surtout pas croire, que le luxe que s'autorisent les enfants gâtés de la FIFA se limite à ces suites. Au cours du Mondial 2014 au Brésil, Sepp Blatter a projeté louer l'appartement de Ronaldo à Rio de Janeiro, pour la modique somme de 500 000 €, un appartement que Jérôme Valcke, le secrétaire général de la FIFA, un français, avait loué l'année précédente pour la Coupe des confédérations. C'est le prix de quatre Deluxe Corner Suite facing the lakeside au Baur au Lac à Zurich pendant six semaines. Toujours est-il que la dernière fois qu'un audit sur les comptes de la FIFA a été réalisé, remonte à l'année 2002. Et c'est le neveu du vieux, cité plus haut, qui en avait la charge. Enfin, ce n'est pas un hasard, là aussi, si le siège social de cette association à but non lucratif a été transféré de Paris à Zurich, fiscalité oblige.

Passons maintenant à une petite anecdote sur les cadeaux. A leur arrivée au Brésil, tous frais payés, une montre Parmigiani, un sponsor officiel, d’une valeur de 25 000 dollars svp, attendait gentiment Sepp Blatter et ses amis, au fond d’un sac dans leur chambre d’hôtel cinq étoiles. Pire encore, selon les révélations du Sunday Times, la FIFA elle-même avait prévu d’offrir à ses membres, comme souvenirs de la Coupe du monde de 2014, deux autres montres luxueuses (non mais, ils sont obsédés par les montres !), de la marque Hublot, un autre sponsor du Mondial, d’une valeur globale de 84 000 dollars. Hala2 ma bedda kel hal 2ossa ya BB, enno barké el zalamé daïya3 awal se3a!

J’ai rejoint sans hésitation Michel Platini, un prétendant à la présidence de la FIFA que Sepp a mis hors-jeu, qui avait demandé à Blatter de démissionner. « Changer de président, était la seule façon de changer la FIFA ». Comme le président de l'UEFA (Union européenne de Football-Association), qui détient un quart des votants (53 des 209 fédérations au niveau mondial), je trouve que c’était le moment de passer le flambeau à d’autres personnes. Comme au prince Ali bin Hussein par exemple, 39 ans, un des vice-présidents de Joseph Blatter, vice-président de la Fifa pour l'Asie et fils du roi Abdallah de Jordanie, un homme respecté par ses pairs pour qui « le football mérite une gouvernance de classe mondiale (...) la Fifa doit être une organisation de service et un modèle d'éthique ». On est loin de cette mentalité sous Joseph Sepp Blatter, hélas il faut avoir le courage de le dire. Le jeune homme aurait été approché par un individu qui lui a assuré d’obtenir des infos sur les activités financières de son adversaire et 47 votes dans la poche, comme on dit chez nous. Il a immédiatement informé la police suisse, noblesse oblige ! Ah, avant que je n’oublie, vous vous souvenez de l’histoire de la montre à 25 000 $ ? De tous les membres du Comité exécutif de la FIFA qui l’ont reçu discrètement, seuls prince Ali et les délégués des Etats-Unis et de l’Australie, l’ont déclaré à l’organisation. Walao ya BB, enno dé2o be3aïnak hal se3at ?

Ce qui a été fantastique ce vendredi, c’était la tournure qu'a pris le match de la FIFA. L’Europe et l’Amérique du Nord, en majorité des pays occidentaux et développés, considérés comme des pays de traditions chrétiennes, étaient avec Ali, un jeune homme, d’un pays en voie de développement, de confession musulmane. Par contre, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Océanie, en majorité des pays en voie de développement et sous-développés, en partie de traditions musulmanes, étaient eux avec Sepp, un vieil homme d’un pays occidental et développé, de confession chrétienne. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures, mais c’est un détail intéressant à relever. Bilan des courses, l’Européen l’a emporté sur l’Arabe, 133 voix contre 73. Comme un prince, Ali Bin al-Hussein s’est désisté. Il n’y a pas eu de 2e tour. Joseph Blatter fut couronné de nouveau comme président de la FIFA.

A 79 ans, le Suisse avait mieux à faire que d’entamer un 5e mandat, jusqu’à 83 ans, après une gestion pas terrible de la fédération internationale de football depuis 17 ans. Le vieil homme qui voulait imposer aux joueuses des « shorts plus serrées », afin de rendre le football encore plus attractif, ose penser être l'homme de la situation, un missionnaire à vie du jeu du ballon rond. « Je suis avec vous (les 209 délégués). Certains diront depuis trop longtemps. Mais qu'est-ce que c'est le temps? Je trouve que le temps que j'ai passé à la FIFA était très court. Plus on avance en âge, plus il devient court. Je voudrais juste rester avec vous ». C’était hier, quelques minutes avant le vote et c’est affligeant. Sepp Blatter me rappelle étrangement quelques-uns des spécimens de nos contrées d’Orient, incapables de prendre leur retraite et d’aller pêcher la sardine en Méditerranée. Hier, il y avait une occasion en or pour que ce monde luxueux du football international prenne le chemin de l’Eglise catholique, en confiant sa gestion en toute confiance à un représentant honnête de ce « tiers-monde », qui constitue l’écrasante majorité des fans du jeu de ballon et des fidèles spectateurs des matchs des Coupes du monde de football, qui font de la FIFA ce qu’elle est devenue, la plus puissante instance sportive au monde, et surtout, la plus riche d’entre elles. Occasion ratée. Que fera le vieux pour rendre la FIFA plus saine ? Comme on dit en Orient, law badda tchaté, gheiyamit (s’il devait pleuvoir, le ciel se couvrirait). D’ailleurs, le vieux l’a dit dans son discours de candidature. « On n'a pas besoin de révolution, mais on a toujours besoin d'évolution ». C’est c’là oui, attend encore un peu, pourquoi te presser ? Pas grave, prochain rendez-vous en 2019. Qu’importe les noms, la FIFA a surtout besoin de probité et de transparence. Une chose est sûre, il y aura un avant le Baur au Lac et un après.

vendredi 1 mai 2015

Blocage et bannissement sur Internet et les réseaux sociaux : des procédures d’exception libératrices et démocratiques (Art.286)


Carte partielle d'Internet, basée
sur les données au 15 janvier 2005.
Chaque ligne lie deux nœuds,
représentant deux adresses IP.
Auteur : The Opte Project
La vie sur les réseaux sociaux, l’agora des temps modernes, n’est vraiment pas un long fleuve tranquille. Je peux vous l’assurer en connaissance de cause. Hélas, sur Internet aussi, on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Les interactions humaines sont nombreuses. On croit que Facebook existe depuis des lustres. Eh bien non, le réseau des réseaux n’a que 11 ans ! Chose inimaginable il y a seulement quelques années, on peut aujourd'hui avoir des échanges multiples tous les jours avec des dizaines de personnes de sexes, de langues, de nationalités, d’ethnies, de religions, de convictions, d’idéologies, d’orientations sexuelles, de préférences culinaires, d’obsessions diverses, de complexes d’infériorité comme de supériorité, de fixations obsessionnelles, de nombrilismes exacerbés, d’objets de fétichisme, de tares et de passions différents. D’après ce que j'ai constaté, tout sujet au Liban a le potentiel intrinsèque de conduire à une discussion passionnée. Dès que l’on ouvre la bouche sur Facebook, une façon de parler, baddo yerkabb machkal. Il faut dire que les sujets conflictuels ne manquent pas, surtout pour ceux dont l’argumentation est branlante. L’islamophobie ou la christianophobie, l’Iran ou l’Arabie saoudite, le Hezbollah ou Daech, Michel Aoun ou Samir Geagea, le 8-Mars ou le 14-Mars, pro-sunnite ou pro-chiite, pro-Bachar ou anti-Bachar, Angelina Jolie ou Salma Hayek, une blonde ou une brune, la Seleção ou la Mannschaft, Flanby (Hollande) ou Talonnetes (Sarkozy), une Philippine ou une Sri-Lankaise, l’ail ou la cuisse, le taboulé ou le fattouch, l’euro ou le dollar, iPhone ou Galaxy Note, les locataires ou les propriétaires anciens, j’en passe et des meilleurs, aucun domaine n’est épargné dans nos contrées d’Orient. Rajoutez à cela que certains de ce cha3eb lebnen el 3azim à l’orgueil démesuré ont cette fâcheuse tendance à s’obstiner jusqu’aux confins du ridicule pour avoir le dernier mot.

Face à cette problématique nouvelle de la vie en société, il est évident qu’il faut un « code de déontologie », quand on est sur les murs des autres, et un « règlement interne » pour gérer les interactions humaines sur son propre mur.

Hélas, et je le regrette beaucoup, je n’ai pas beaucoup d’occasion de surfer sur les murs de mes amis. En parallèle avec ma vie privée et professionnelle, je rédige en moyenne un article tous les 5-6 jours depuis plus de 4 ans. Je couvre à peu près tous les thèmes. J’explore le sujet retenu en long, en large et en profondeur, jamais de travers. Tout cela m’amène à passer une grande partie de mon temps de surf à suivre assidûment l’actualité nationale et internationale. En bref, mon code de déontologie en matière de surfing sur les murs n’est donc pas très élaboré. Mais, j’en ai un quand même. Il inclut en premier lieu, une règle fondamentale de la vie sociale sur Facebook : le zapping. Quand une réflexion me dérange, me froisse et m’énerve, je zappe. Je ne réunis pas le Conseil de sécurité de mes nombreuses personnalités schizophréniques, pour voter une résolution contraignante sous le chapitre VII ! Je passe tout simplement mon chemin. Quand je n’arrive pas à zapper car la saloperie de réflexion a titillé les sillons archaïques de mes lobes cérébrales et mes synapses fonctionnement à plein régime, au lieu de ruminer dans mon coin, je fous ma tête dans le glacier le plus proche, le réfrigérateur, et je prends un Magnum. Ohé, je parle de la marque de glace et non du « .357 ». Dans le pacifisme j’y suis et j’y reste. Cette douceur froide a l’extraordinaire effet de calmer mes pulsions guerrières et d’adoucir mes commentaires. Je relance maximum deux fois, quelle que soit la tournure que prend la discussion. Au-delà, je sais qu’on s’engage dans un dialogue de sourds qui risque d’importuner tout le monde.

Sur mon mur, j’ai eu le temps avec ma longue expérience d’élaborer un règlement plus consistant. Ayant un esprit profondément démocratique, ceux qui me connaissent bien savent à quel point mon mur est ouvert aux opinions divergentes à condition qu’elles s’expriment d’une manière civilisée. Je trouve qu’internet et Facebook sont des inventions extraordinaires, enrichissantes et divertissantes. Quand l’échange est chaud, mes répliques sont servies à la même température que les attaques dont je fais l’objet, avec un chouia de piment en plus, je dois quand même rappeler aux importuns que je suis propriétaire du mur. Quand l’échange commence à déraper, le débat s’arrête illico presto, j’engage la grosse artillerie dans la bataille, le sarcasme. Il parait que j’excelle dans ce domaine. Mon verbe est haut, mais jamais d’agressivité, c’est un signe de faiblesse. Dans cette stratégie, je suis réconforté par nos amis les chiens. Quand un labrador rencontre un pékinois, vous pouvez être sûr que c’est toujours ce dernier qui se met à aboyer en premier. Quand l’échange tourne aux attaques personnelles, hystériques ou obsessionnelles, voire aux « menaces » -comme ce fut le cas dernièrement sur mon statut à grand succès consacré au « génocide arménien », où un prof d’université, 36 ans de carrière svp, m’a conseillé de faire gaffe, car je pourrais avoir affaire à lui en face à face pour qu’il me remette à ma place- je bloque l’accès des énergumènes à mon profil perso et je les banni de ma page Facebook, le seul réseau social que j’utilise.

J’ai longtemps hésité à établir cette règle. Mais en y réfléchissant bien, j’ai découvert que contrairement à ce que je pensais au départ, le blocage et le bannissement sont des règles démocratiques à partir du moment où les motifs de déclenchement de ces procédures d’exception sont claires. Ce sont les attaques personnelles et obsessionnelles qui sont anti-démocratiques non seulement par leur caractère agressif, mais aussi, par leurs effets malsains qui visent à détourner et étouffer le débat démocratique en cours. Aucun journal ou télévision ne peut se permettre d’ouvrir ses colonnes ou son antenne à toutes les opinions. Facebook est un nouveau support médiatique où l’on ne choisit pas ses invités si on décide d’avoir un profil public. D’où les mauvaises surprises, comme l’autre jour où j’ai dû expliquer avec beaucoup de sarcasme, et d’amusement je l’avoue, à un invité qui me demandait le plus sérieusement au monde de lui donner « une raison pour ne pas être islamophobe et turcophobe », la stupidité de sa requête. Hésitant au départ, j’ai fini par relever le défi. Ce fut alors un grand moment de bonheur. Enfin, pour moi !

Il faut aussi ne pas oublier que face à des personnes qui ne savent pas se contrôler en exposant calmement leurs opinions, en acceptant celles des autres, en sachant quand s’arrêter et surtout, en laissant le soin aux lecteurs de se faire leur idée, ces procédés qui sont à notre disposition, sont libérateurs, puisqu’ils garantissent à tout un chacun de contrôler son propre mur et d’assurer la paix entre les Facebookiens.

L’autre raison qui m’a définitivement convaincu de la justesse du recours à ces procédures d’exception, c’est d’avoir découvert en me basant sur mon propre expérience et sur des observations de ce qui se passe chez mes amis, que certaines personnes, à l’audience très limitée, parasitent délibérément les murs à forte notoriété, pour profiter de leur popularité afin de propager leur idéologie. Ce fut le cas par exemple de mon post sur le « génocide arménien » dont le franc succès a beaucoup irrité yallé ta7et batoun msallé (bten3aroun).

Détails techniques. Le « blocage » d’accès d’une personne à un compte perso Facebook, laisse l’accès à la page Facebook et n’efface pas les commentaires de la personne bloquée de la page en question. Par contre le « bannissement » de quelqu’un d’une page Facebook (procédure équivalente du blocage, réservée aux pages FB), laisse l’accès au profil perso, mais supprime tous les commentaires de la personne bannie sur la page en question. Pour laisser à ceux qui le désirent de suivre l’échange malgré le bannissement, je me suis fixé comme règle de reproduire des captures d’écran des commentaires qui seront supprimés après le bannissement de la personne concernée, afin de mieux comprendre pourquoi j'en suis arrivé là.

En fin de compte, chacun sa méthode pour faire face aux aléas de la vie sociale sur les réseaux. Personnellement, je ne peux que conseiller vivement à celles et ceux qui sont confrontés aux attaques personnelles et obsessionnelles, aux incivilités et à la vulgarité, le recours à ces procédures d’exception, le blocage et le bannissement. Elles ont la faculté de garantir la paix des ménages et des murs dans l’agora de Facebook, ainsi que d’éviter à la fois le gaspillage énergétique, et le pire, de prêter son mur à la propagande. Soyez-en sûrs, vous vous retrouverez plus efficaces et plus sereins. Pensez-y et n’hésitez pas.