mercredi 31 décembre 2014

Des rats de Paris aux rats de Beyrouth, c’est surtout le « sens civique » qui manque au Liban (Art.263)


Des réserves sur ses méthodes, j’en ai. A commencer par ses mises en scène spectaculaires récurrentes pour assurer une récupération politicienne optimale et la discrimination flagrante dans l’application de la loi entre les régions libanaises, dont le ménagement évident des territoires qui sont sous le contrôle des autorités du Hezbollah. Il n’empêche, Wael Abou Faour est incontestablement l’homme de l’année 2014 pour moi.   

Jamais le Liban contemporain n’a connu un ministre aussi sincère, énergique et volontariste. Il bouscule tout le monde. A ce stade, il est clair, que sans le soutien de son chef, Walid Joumblatt, il se serait contenté de quelques rafistolages lors de son passage au ministère de la Santé. Il a le feu vert du Beik, voilà pourquoi il va aussi loin.

Il a révélé à quel point le Liban, en dépit des paillettes et surtout de la schizophrénie ambiante, est un pays qui part à la dérive à tous les niveaux, pas uniquement au niveau alimentaire. Heida jawna:
- 1 crocodile heureux qui barbote dans les eaux de nahr Beyrouth pendant des mois, avant d'être capturé par des pêcheurs svp,
- 4 ans d’autoprorogation parlementaire, soit un mandat entier sans scrupules, salaires compris,
- 12 attentats sanglants survenus dans diverses régions libanaises, aucun procès en vue, frontière syro-libanaise toujours pas maitrisée et une milice libanaise enlisée jusqu'à nouvel ordre dans la guerre civile syrienne,
- 221 jours de vacance au niveau de la présidence de la République, et des députés qui veulent légiférer en violation de la Constitution libanaise,
- 650 morts sur les routes libanaises,  à condition que cette dernière journée de l’année temrou2 3a kheir, et les permis de conduire sont encore délivrés dans des pochettes surprises,
- 700 tonnes de sucre périmé qui attendent d’être écoulées sur le marché libanais, et des baklawas gracieusement distribués à la mort des adversaires politiques, 
- 100 000 likes suite à une pulsion nationaliste pour une sportive dont on a plus entendu parler, Jackie Chamoun, et à peine 1 615 likes pour la page officielle du Tribunal Spécial pour le Liban, qui juge les auteurs de l'assassinat de 22 personnes, dont Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre de ce peuple râleur, 
- 500 000 m² de forêts dans la région de Baabda sont partis en fumée par défaut de maintenance de 3 hélicoptères spécialisés,
- 800 000 locataires anciens menacés d’expulsion de leurs appartements dans l’indifférence générale politico-médiatique,
- 1 500 000 Libanais « pauvres » et dans une situation « vulnérable » sur les plans socio-économiques, soit 1 Libanais sur 3, et des frontières ouvertes comme si de rien n'était.

Le Liban est dans un état de décomposition avancée. Pas besoin d’Abou Faour ou Bakhos Baalbaki pour le prouver ou d’en rajouter. Mais, en faisant la rétrospective de l’année, on s’aperçoit que la pourriture la plus grave, n’est pas spécifique du monde politique, liée à l’insécurité, attachée à notre alimentation ou relève du domaine social. Il y a quelque chose de grave dans tout cela, quelque chose qui relie toutes ces mauvaises nouvelles que nous avons eues durant les 52 semaines de cette année. C’est la « mentalité défectueuse ». Pour rester dans les scandales révélés par le ministre de la Santé, le problème n’est pas dans ce malheureux « jardone » qui se balade à proximité des silos à blé du port de Beyrouth à la recherche de quelques graines pour survivre. Vous seriez passés il y a quelques années près de la fontaine des Innocents, en plein cœur de Paris, à 3h du matin, vous auriez vécu un remake des Birds de Hitchcock. Des centaines de rats parcouraient la place hystériquement pour s’engouffrer dans les tunnels creusés au pied des arbres. Je vous conjure de me croire, j’étais sobre ! Aujourd’hui, il n’en est rien. Et pourtant, aucun ministre français ne s’est rendu à Châtelet-Les Halles ! Le « système » a fonctionné. Les rats parisiens reviendront place des Innocents et ailleurs, et le système fonctionnera. Le problème n'est donc pas les rats en soi, autant qu'il réside dans le fait de savoir, comment se fait-il que les 10, 20 ou 100 personnes qui travaillent dans ce lieu d’une haute importance, ainsi que les dirigeants de cette structure, aient attendu la visite du ministre de la Santé en personne, dans les derniers jours de l'an de grâce 2014, pour leur expliquer que les rats et les pigeons n’ont pas leur place dans l’environnement de silos à blé qui nourrissent l'ensemble de la population libanaise depuis des décennies ? Incompréhensible.

Dans tous les pays du monde, il y a des gens qui fraudent, qui sont négligents et qui n’ont aucun bon sens. Mais, force est de constater qu'un sens civique minimaliste existe dans les pays développés pour garantir aux citoyens une vie décente, sans que les Etats n’interviennent directement dans chaque détail de la vie quotidienne. Contrôler c’est bien, faire son boulot c’est mieux, avoir le « sens civique », ce sens des obligations et des responsabilités du citoyen, ça serait fabuleux quand même. Eh oui, la « mentalité défectueuse » se répand au pays du Cèdre et dans tous les domaines. Heida jawna ! Hélas, sur ce point, la loi n’y peut rien, ou pas grand-chose. Comment créer un « citoyen responsable » ? Telle est vraiment la douloureuse question qui ressort de ma rétrospective de l’année 2014. Rêvons de cela pour 2015 ! Rêver c'est déjà ça, comme le dit si bien Alain Souchon.