mercredi 19 novembre 2014

La récupération politicienne de la fermeture de l’abattoir de Beyrouth par Walid Joumblatt (Art.254)


Il est difficile de ne pas soutenir le ministre de la Santé dans sa campagne d’assainissement de l’alimentation des Libanais. La dénonciation publique des pestiférés est obligatoire dans un Etat de droit. Elle est conforme à ce qui se passe dans tous les pays développés. En plus, c’est le seul moyen efficace d’avancer, dans un pays où la corruption et le clientélisme existent. Certes, notre ministre pouvait se contenter d’un communiqué au lieu de faire ses shows politiques. En tout cas, ce que je lui reproche, je l’ai résumé dans l’article 252. En tête de liste, se trouve un certain « amateurisme » qui accompagne sa démarche et la « récupération politicienne ». Dernières preuves en date, chez Marcel Ghanem dans l'émission Kalam el-Nass sur la chaine LBC.

Passons sur sa 3e liste d’une douzaine de contrevenants aux normes sanitaires. Encore une fois, elle ne concerne essentiellement que les régions chrétiennes (Zgharta, Koura, Metn, Jezzine) et sunnites (Saïda). Le décalage entre les régions chrétiennes, sunnites et mixtes d’une part, et les régions chiites d’autre part, devient au fil des apparitions publiques du ministre druze de Walid Joumblatt, de plus en plus grotesque et suspect : près d’une soixantaine de fautifs dans le 1re groupe, près d’une demi-douzaine dans le 2e. Il est quand même difficile d’avaler une telle couleuvre ya ma3alé el wazir !

A part cette dérive biaisée, Wael Abou Faour nous a annoncé hier que le taux d’intoxication alimentaire au Liban est de l’ordre de 1 000 cas, sur les 8 derniers mois, soit une estimation de 1 500 cas par an. Alors, question pour un champion, à votre avis, quels sont les statistiques pour les pays occidentaux ? Hein ?... Non... Non plus... Pas du tout... Encore loin... Quoi ?... Vous donnez votre langue au chat ? Vous avez intérêt, vous ne trouverez jamais. Prenez une chaise et prêtez-moi bien l’oreille. Les statistiques des toxi-infections (le terme médical) dans les pays occidentaux montrent qu’on a jusqu’à 750 000 cas en France, 2 000 000 au Royaume-Uni et 76 000 000 aux Etats-Unis. Ah si ! Certes, il faut voir ce qu’on englobe dans la catégorie des intoxications alimentaires pour chaque pays, mais enfin, ce sont les chiffres officiels. Comparés avec celui annoncé en trombe par le jeune novice, pardon, ministre libanais, notre Liban est le pays le plus sûr de la planète sur le plan alimentaire : il y aurait 50 fois plus d’intoxications alimentaires en France par rapport au Liban et 1000 fois plus aux Etats-Unis, si nous avions les mêmes chiffres démographiques. Eh oui ! Alors de trois choses l’une : les statistiques occidentales sont très largement surestimées, les statistiques libanaises sont très largement sous-estimées, le ministre libanais de la Santé pédale dans le bourghoul. Hélas, je crois que les trois hypothèses sont recevables. Qu’un fonctionnaire libanais payé au salaire minimum avec ces misérables 450 $/mois, soit brouillon, c’est à la limite compréhensible. Mais qu’un ministre d’Etat et député autoprorogé de surcroit, payé une douzaine de milliers de dollars par mois, le soit, c’est indigeste pour les contribuables Libanais. Tout ce que ces derniers demandent c’est qu’il fasse son boulot comme il se doit, d’une « manière scientifique » et non « en se donnant en spectacle », sans qu’il ne soit obsédé par les bénéfices politiques que ces scandales peuvent rapporter, à lui personnellement et à la girouette de Moukhtara, W Beik (Joumblatt) spécialement. J’y reviendrai à la fin de l’article.

Par ailleurs, au cours de l’apparition télévisuelle du ministre de la Santé, Marcel Ghanem a annoncé la décision de mouhafez beirout, le représentant du gouvernement à Beyrouth, Ziad Ch'bib, de fermer l’abattoir de la Quarantaine à Beyrouth, pour rénovation en attendant la construction d’un nouvel abattoir. Cette annonce est une excellente nouvelle pour les Libanais en général et les Beyrouthins en particulier. Peut-être que cette fermeture nous débarrassera enfin des odeurs nauséabondes qu’on ressente dans toute la capitale libanaise de temps à autres. Mais, cela ne permettra pas de changer la mentalité criminelle, perverse et masochiste qui règne dans cet endroit infâme au Liban. Et des abattoirs dans l'état de celui de Beyrouth, il y en a aussi dans d'autres régions libanaises.

La CIWF, Compassion in World Farming, est une ONG fondée par un britannique en 1967 qui milite pour glisser plus de compassion dans le monde de l’élevage et de l’abattage. Il y a du boulot ! « Nous encourageons les pratiques d’élevage respectueuses du bien-être des animaux d’élevage et proposons des alternatives à l’élevage intensif. » La branche française de la CIWF, fondée en 2009, a visité l’abattoir du quartier de la Quarantaine à Beyrouth au cours de l’année 2013. Son rapport sur le traitement réservé aux animaux est accablant. Pas la peine de regarder la vidéo de 3min 25s, vous ne pourrez pas la visionner jusqu’au bout. Voici un résumé du compte rendu publié en décembre 2013. « Le chaos règne dans l'abattoir. Tout est maculé de sang, d'excréments et de morceaux de cadavre d’animaux (tiens, ça pourrait expliquer en partie les contaminations relevées par le ministre de la Santé). La zone d'abattage est bondée de gens, d’animaux vivants et de cadavres. Les bruits et les odeurs sont accablants. Les hommes saisissent les moutons par la toison ou la patte arrière. Ils tombent et sont traînés de force, un par un, vers le poste d'abattage. Les bovins sont traînés par des cordes autour du cou. Quand ils essaient de résister, on leur hurle dessus et on les frappe violemment avec des barres métalliques. Les animaux, visiblement terrifiés, tentent désespérément de s’échapper ; mais ils glissent, trébuchent et tombent, leur tête heurtant violemment le sol en béton. Des moutons sont obligés de sauter par-dessus les cadavres de leurs congénères et de larges gouttières pleines de sang. Ils tentent désespérément de se frayer un chemin à l'écart des organes d'autres ovins qu’ils viennent de voir se faire abattre. Les bovins sont laissés suspendus par une patte pendant de longs moments, entièrement conscients, leurs têtes reposant dans le sang. Ils voient les animaux être abattus tout autour d'eux. Je me demande s’ils se rendent compte que cela sera bientôt leur tour ? » Et oui, ça se passait comme ça depuis des lustres, au pays des inventeurs de l’alphabet et de la Suisse de l'Orient, où la légende dit qu'on peut nager et skier le même jour. Quelle honte !

Suite à ces découvertes insupportables, la CIWF a déposé une plainte contre l’abattoir de Beyrouth et lancer une campagne en ligne le 6 décembre 2013 réclamant la fermeture des locaux. Elle n'était pas seule. Pour éviter qu’un énième scandale n’éclabousse encore ce qui reste de la réputation du Liban, les autorités libanaises ont fini, après des décennies de torture animalière, par décider de fermer l'abattoir. Paix aux âmes de ces milliers d'animaux qui sont passés par ce lieu morbide.

La maltraitance ignoble des animaux par cette bande d’abrutis, de nationalités libanaise et étrangère, ne doit plus être tolérée dans le nouvel abattoir de Beyrouth, et dans tous les abattoirs du Liban d'ailleurs. L’Etat libanais devrait procéder autant à la rénovation des locaux qu'à la « rénovation des esprits primitifs ». Pour l’instant, rien ne garantit que le nouvel abattoir respectera les normes nationales et internationales. C’est bien de vérifier que les Libanais appliquent la loi, c’est encore mieux si l’Etat libanais lui-même, et ses institutions, s’y mettent aussi. Même si cela ne relève pas directement de ses compétences, Wael Abou Faour devrait diminuer la fréquence de ses shows publics pour veiller avec ses collègues à ce que les abattoirs au Liban suivent les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) quant au bien-être des animaux lors de l'abattage. La santé publique en dépend indirectement. Et là, c’est son domaine précisément.

Si je suis revenu sur le sujet c’est aussi pour dénoncer comme je l’ai dit précédemment, la récupération joumblattienne de cette affaire nationale. Vous trouvez sans doute que j’exagère ? Eh bien, de nouvelles preuves viennent tout juste de tomber. Il y a à peine une heure, on a compté pas moins de quatre tweets de Walid Joumblatt autour de l’abattoir de Beyrouth : « Ils semblent qu’ils avaient peur de ma visite à l’abattoir avec Wael et Akram... Les citoyens de Beyrouth refusent toute action cosmétique... Un nouvel abattoir sera construit au même emplacement, loin des pressions politiques... Le CDR devrait lancer un appel d’offres dès que possible ». Dites-moi au juste, quelle est la fonction officielle de W Beik ? D’après mes souvenirs, il n’est pas député de Beyrouth et son poulain est seulement chargé de la Santé. Donc, on ne voit ce qu’il vient foutre dans cette affaire, à part faire de la récupération politicienne. Lamentable. En tout cas, il faudra surveiller de près qui décrochera l’appel d’offres. Affaire à suivre. Une de plus.