samedi 5 juillet 2014

Pour aligner le Liban avec la France, il faut soit baisser le salaire des employés de banque, soit augmenter le salaire minimum. L'affaire François Bassil (Art.237)


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Au Liban, la « diffamation » est incontestablement l’arme la plus redoutable contre la « liberté d’expression ». On use et on abuse des deux à volonté. L’affaire François Bassil est d’ailleurs une bonne illustration de ces dérives. Le président de l’Association des Banques du Liban (ABL), est poursuivi par Hani Kobeissi, un parlementaire du parti d’Amal (Nabih Berri), pour diffamation à l’encontre des députés, à la suite de ses déclarations contre « les parlementaires et les politiciens qui volent l’argent public » et contre « les politiciens responsables de la faillite du Liban et des guerres que nous vivons actuellement ». C’est ce qui a enragé el-Estèz, à l’origine de la plainte déposée en avril dernier, alors qu’il n’y avait pas de quoi chatouiller un crocodile. Au pays où le ridicule ne tue pas, le président du Parlement libanais since 1992 & until 2026, disons au moins jusqu’en 2020, a exigé des excuses publiques de la part du président de l’ABL, qui aurait manqué de respect à l’égard des députés. Enno chou, l’amnésique estèz croit qu’il a gratifié les représentants du peuple libanais en fermant les portes du Parlement à double tour pendant un an et demi entre le 1 déc. 2006 et le 25 mai 2008 ? Sans excuses, la plainte a suivi son cours et François Bassil fut obligé de s’expliquer devant la justice avant-hier. Banquiers vs. parlementaires, prochain épisode le 9 juillet.

Toujours est-il qu’il est très intéressant de noter qu’au même moment où un ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, est un justiciable comme un autre ou presque -18 heures entre les mains de la police judiciaire et les juges du Pôle financier, malgré son réseau d’amis- au Liban, tout le monde s’offusque d’une simple comparution de quelques minutes d’un banquier devant la justice de son pays. Si Nabih Berri estime qu’il y a un crime de lèse-majesté, c’est en effet à la justice de trancher. Même si on déteste la classe politique, faut-il pour autant voler au secours de la classe financière comme l’ont fait certains compatriotes avec zèle ? La réaction la plus grotesque sur l’affaire François Bassil était celle du président de l’Association des commerçants, Nicolas Chammas, qui affirme que « le jour de l’interrogation (par la justice libanaise) de l’une des figures les plus importantes des organismes économiques, est une journée noire dans l’histoire du Liban (...) Ce n'est pas ainsi qu'on traite François Bassil ». Kess ékhet hal iyam, ma ba2a fi é7tiram la 7adann, et vas-y que je t’en remets une couche ! Personne ne devrait être au-dessus de la loi, ni François Bassil ni Nabih Berri, et si ce dernier est hélas, intouchable, ce n’est pas une raison pour que le premier le soit d’office. Voilà pour faire simple.

Et pourquoi faire simple quand les choses sont compliquées ? L’affaire François Bassil a commencé à la suite des festivités législatives du poisson d’avril, il y a trois mois. Je rappelle que durant ce marathon législatif, les députés se sont dépêchés pour passer toutes sortes de lois avant le « blocage  présidentiel ». Du côté du 14 Mars, notamment du courant du Futur, on tenaient à libéraliser au plus vite les locations anciennes au Liban, une disposition qui touchera de plein fouet la classe moyenne et les natifs de Beyrouth, notamment des communautés chrétiennes et sunnites, un sujet que j’ai traité pour la énième fois en long et en large il y a seulement quelques jours. Je n’y reviendrai donc pas. Du côté du 8 Mars, notamment des partis Amal et Hezbollah, on se battaient sur un autre front, pour la nouvelle grille des salaires, qui devrait conduire à une hausse des salaires des fonctionnaires libanais, qui concernera toutes les communautés libanaises, notamment la communauté chiite. Tout le monde est soi-disant d’accord sur le principe de la hausse, partis politiques, responsables religieux, patronat, syndicats, j’en passe et des meilleurs, car il faut bien le dire, on ne peut pas s’aliéner la masse populaire des fonctionnaires, ni au Liban, ni en France, ni dans aucun territoire de la Voie lactée. L’objection sur la nouvelle grille des salaires au Liban portait sur le financement de ces hausses de salaire, à effet rétroactif comme d’habitude au Liban, qui pourraient couter plus 2 milliards de dollars à un État libanais endetté déjà à hauteur de 64 milliards de dollars. Comme vous pouvez l’imaginer, on cherche l’argent où il se trouve, entre autres, au niveau de la TVA, le mazout, le divertissement, les plus-values immobilières, et bien sûr, le secteur bancaire. Je suis sûr que les choses deviennent subitement plus limpides pour vous. Taxer les dépôts et les transactions, ce ne sont pas les idées qui manquent. Tout cela a vivement déplu au représentant des banques libanaises car « les mesures fiscales proposées par les commissions parlementaires et relatives aux banques auront un impact négatif sur les revenus des Libanais ». À la suite d’un entretien avec le président des Forces libanaises au début du mois de mai, le banquier avait déclaré que « nous nous sommes entendus, avec M. Geagea, sur le fait que les réformes radicales ne doivent pas entraîner de nouvelles taxes ». Wallah, kif heidé ya chabeb ?

Nul ne conteste la nécessité de faire la chasse au gaspillage au niveau de tous les appareils de l’État libanais, à commencer par le Parlement, et de réformer toutes les institutions libanaises, le chantier du siècle. Bass ya françois, enno bala ma nkazzib 3a ba3edna, faut pas rêver, ce chantier ne démarrera pas avant 2030 et il ne sera pas possible de trouver ces deux milliards de dollars sans « nouvelles taxes » et « sans nouvelles contestations sociales ». François Bassil le sait. Qu’il le veuille ou non, à juste titre ou pas, il est aujourd’hui avec ses amis des organismes économiques, partie prenante du blocage sur le dossier de la grille des salaires. Dans tous les cas, vous l’avez compris, c’est un bras de fer qui est engagé depuis des mois, entre les banquiers, les organismes économiques et certains parlementaires du 14 Mars d’une part, avec les syndicats, les fonctionnaires et certains parlementaires du 8 Mars d’autre part, pour déterminer si les premiers doivent contribuer oui ou non au financement de la hausse de salaire des fonctionnaires et si les derniers sont prêts à engager une chasse au gaspillage de l’argent public de l’État libanais, qui ne les épargnera certainement pas. Tenez, déjà qu’il faut envisager, comme je l’ai proposé il y a quelques mois, de sacrifier un poste de député à la prochaine législature, ce qui nous fera une économie d’au moins 350 000 $/mandat parlementaire, qui nous permettra d’assurer la maintenance des trois hélicoptères Sikorsky et parer aux feux de forêts qui menacent notre patrimoine écologique. Nous savons aussi, qu’il faudra sacrifier 11 autres postes de député, pour dégager une économie de près de 4 000 000 $/mandat, afin de permettre au peuple libanais d’assurer la transmission de tous les matchs de la prochaine Coupe du monde de football sans avoir à se farcir le turc ou le russe. En toute logique, la mienne, nous devrons passer de 128 députés à 116 à la prochaine législature, wou el kheir la 2edemm.

En dépit du peu d’estime que j’accorde à une partie des députés de notre pays, de tous bords soit dit au passage, du 14 Mars, du 8 Mars et des indépendantistes pour qui n’a pas bien saisi mes propos, à cause de leur incompétence et pas uniquement pour élire un président de la République, loin de là, est-ce que vous auriez imaginé, enno be hal ékhra, Bakhos Baalbaki prenant sa plume pour défendre des banquiers ? Si, si, je me suis posé la question, la moitié d’un quart de seconde, hélas. La2 ma3lé, baleha, dans une autre vie peut-être. Dans tous les pays du monde, notamment en Europe, une grande partie des peuples, des intellectuels et des jeunes, se méfient des banquiers. Les enquêtes d’opinion réalisées en France montrent que près de « 40 % de la population française ont même une image plutôt mauvaise et très mauvaise des banques ». Je n’y peux rien, ainsi va le monde. À tort ou à raison, chacun ses raisons, qu’importe. Logique mathématique, je dois donc être un jeune intellectuel européen du peuple, wa ektada el towdi7.

Une dernière chose. En s’aventurant dans les données de l’ABL, j’ai appris que le revenu moyen des 22 637 employés de banque au Liban est de 3 170 $/mois pour l’année 2012, toutes allocations et avantages compris. Sachant que le salaire minimum dans notre pays est de 450 $/mois, un employé de banque au Liban gagne alors 7 fois plus qu’un smicard libanais. Eh oui, ce n’est pas par hasard que dans notre pays, qui ne veut pas devenir médecin, ingénieur ou avocat, ne pense qu’à travailler dans une banque. Stabilité et salaires conséquents dans le secteur bancaire, c’est aussi le cas en France. La rémunération moyenne des employés de banque dans l’Hexagone est de 3 100 €/mois (presque le même chiffre qu’au Liban mais en euros, soit 4 220 $/mois), ce qui représente 1,8 fois le salaire médian (qui sépare les salariés français en deux groupes égaux et qui se situe à 1 712 €/mois) et 2,7 fois le salaire minimum français (le SMIC est à 1 133 €/mois). Et pourtant, un tel revenu place les employés des banques du pays parmi les 12 % des salariés les plus riches de France. Malgré tout cela, on est vraiment bien loin du coefficient libanais, 7 fois le salaire minimum ! Pour vous donner une idée sachez que si les 367 000 employés des banques françaises gagnaient proportionnellement comme leurs collègues libanais, 7 fois le salaire minimum, ils toucheraient en moyenne près de 11 000 $/mois au lieu de 4 220 $/mois (en réalité seulement 1 % des 30 millions de personnes actives en France gagnent plus de 11 000 $/mois, soit 300 000 personnes en tout et pour tout). Je vous l’ai dit, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans notre pays. Balad gharib 3ajib !

On ne peut pas expliquer ce grand écart qu’on constate au pays du Cèdre, que par deux choses : soit les employés de banque au Liban sont très bien payés, soit les smicards libanais sont très mal payés, l’un n’excluant pas l’autre, bien entendu. Deux hypothèses qui déplairont profondément à François Bassil, j’en suis sûr. La France étant un modèle pour le Liban, et tordu comme je peux l’être, je me suis dit, tiens BB, et si tu appliquais l’équation française au Liban, en faisant passer le « coefficient 7 » qui te parait quand même excessif, à un « coefficient 2,7 » qui te semble plus adéquat. Pour y parvenir, on aura deux choix :

1. Soit de diminuer le salaire moyen des employés des banques libanaises, sans toucher au salaire minimum libanais. On passera donc de 3 170 $/mois à 1 215 $/mois, ce qui représente 2,7 fois le salaire minimum libanais.

2. Soit d’augmenter le salaire minimum libanais, sans toucher au salaire moyen des employés des banques libanaises. On passera alors de 450 $/mois à 1 175 $/mois, qui correspond à 1/2,7ème du salaire moyen des employés des banques libanaises.

C’est ainsi que l’on peut résumer le dilemme de François Bassil, du patronat, des syndicats libanais, des organismes économiques et des gouvernants du Liban. J’entends déjà les cris et les grincements de dents du patron de l’Association des banques du Liban. Aucune des deux options ne sera appliquée au Liban. Si je me suis étalé sur ces deux exemples c’est pour démontrer, au-delà du débat sur le salaire d’une partie des fonctionnaires libanais, à quel point le salaire minimum libanais est une mascarade. On ne vit pas dignement dans un pays où l’on peut engloutir tous les mois la moitié de ce salaire de misère pour obtenir dix misérables ampères pour pallier les 13h de coupure électrique par jour comme c’est le cas cet été, et tous les étés de toutes les années depuis la nuit des temps. Vous comprenez mieux maintenant pourquoi j’ai qualifié de « bêtise inqualifiable » la libéralisation irresponsable des loyers anciens votée récemment par les incompétents parlementaires libanais ? De telles inégalités entre les Libanais sont intolérables et inadmissibles. En tout cas, elles portent en elles les germes d’une vraie « révolution », la révolution de ceux qui ont du mal à survivre économiquement dans leur propre pays. Qui veut continuer de jouer à l’autruche, par omission ou par conviction, devra en assumer les conséquences. Il y a des menaces plus grandes, plus graves et bien plus terrifiantes que les mésaventures d’une bande de dégénérés fi bilad el cham wa ma beina el nahrein. Et c’est Bakhos el-Baalbaki, l'émir de BB's BLOGs, qui vous le dit !