mardi 20 mai 2014

Michel Sleiman saisit le Conseil constitutionnel sur la loi de libéralisation des loyers anciens car celle-ci n'assure pas la « justice sociale » et viole par conséquent, la Constitution libanaise (Art.229). En annexe, le rapport de Bakhos Baalbaki à Michel Sleiman (Art.228)


L'élection présidentielle libanaise est sans doute un sujet passionnant. Mais, il y a des enjeux plus grands et plus graves encore. Alors, récapitulons. 

1. Durant les festivités législatives libanaises du Poisson d’avril, les 1er, 2 et 3 du mois dernier, les parlementaires libanais votent à la hâte, à la dérobée et à l’unanimité, la loi de libéralisation des locations anciennes au Liban.

2. Aussitôt, Bakhos Baalbaki dénonce l’irresponsabilité des députés d’accepter un texte bâclé qui conduira à l’expulsion de la classe moyenne et des natifs de Beyrouth de la ville, et la mise de la capitale libanaise à la disposition des promoteurs sans scrupules.

3. Le 8 avril, le Parlement libanais envoie le texte au Premier ministre, qui le transmet au Président de la République, le 9 avril.

4. S’en suit pendant un mois, le délai légal accordé à Michel Sleiman pour promulguer la loi, un bras de fer sans merci entre les locataires et les propriétaires anciens. L’enjeu socio-économique est considérable. Sur le plan économique, les premiers militent pour éviter d’avoir une augmentation de loyer exorbitante, de près de 1 000 $/mois par exemple (d’ici cinq ans), comme le montre le second tableau de cet article, pour un appartement de 100 m² à Beyrouth, avec la certitude d’être expulsés dans dix ans, sans indemnité, des appartements qu’ils occupent depuis des lustres. Les seconds veulent disposer sans contrainte et en toute liberté de biens immobiliers dont la valeur a explosé, où les prix ont eu le temps de doubler 4 fois en 20 ans, passant par exemple de 15 000 $ (10 ans de salaire minimum de l’époque) à 240 000 $ (44 ans de salaire minimum d’aujourd’hui!) pour un 100 m² à Beyrouth, comme le montre le premier tableau de cet article. Une augmentation vertigineuse qui constitue une première mondiale ! Sur le plan social, un million de Libanais sont concernés par les locations anciennes. 

5. Cette phase a été caractérisée par un désintérêt des médias libanais, qui sont, il faut le rappeler quand même, sous perfusion des partis politiques qui ont approuvé la loi. Ils assuraient le minimum syndical alors que la catastrophe sociale est évidente.

6. Cette phase a été caractérisée aussi par un désintérêt étonnant des responsables religieux chrétiens, à la différence des responsables religieux sunnites et chiites qui ont exprimé leur opposition à plusieurs reprises, malgré le fait qu'une majorité des locataires anciens sont chrétiens.

7. Cette phase a été caractérisée également par la désinformation. Hélas, il est désolant de constater que les Libanais sont non seulement mal informés, mais aussi désinformés. Dans tous les cas, l’ignorance règne en maître au Liban sur ce sujet. Chez les locataires, qui ne savent pas du tout ce qui les attend, mais aussi chez les propriétaires, ce qui n’a pas de conséquences dramatiques en soi comme pour ces derniers, et surprise affligeante, chez les journalistes spécialisés. L’exemple le plus frappant fut celui de la pintade Muriel Rozelier. La rédactrice française du Commerce du Levant, seul magazine économique libanais francophone du Moyen-Orient, a publié dans L’Orient-Le Jour le 8 mai, un « Décryptage de la loi de libéralisation des loyers anciens » donnant un exemple de l’évolution du loyer selon la nouvelle loi, dont les chiffres étaient tout simplement erronés.

8. Le 7 mai, le président de la République signe toutes les lois votées début avril à l’exception de la loi qui concerne la libéralisation des loyers anciens. Michel Sleiman décide de ne pas associer son nom à la nouvelle législation. Il estime que la loi de libéralisation des loyers anciens en l’état, « n’assure pas la justice sociale au Liban ». Une première dans l’histoire de la République libanaise. Et pourtant, quelques heures après, la loi est publiée dans le Journal officiel.

9. Le 12 mai, Bakhos Baalbaki revient à la charge et prévient que « tout député qui espère se faire réélire devrait saisir le Conseil constitutionnel sur la libéralisation des loyers anciens au Liban ». J’avais prévu qu’en toute logique, Michel Sleiman devrait saisir dans les prochains jours le Conseil constitutionnel de son côté. 


10. Quelques jours plus tard, j’ai demandé dans un rapport envoyé à Michel Sleiman, la saisine du Conseil constitutionnel. Vous trouverez le texte intégral de ce rapport en cliquant sur le lien ci-dessous. Pour celles et ceux qui manquent de temps, voici en résumé ce que j'ai dit au Président de la République.  

« La loi de libéralisation des loyers sera très lourde de conséquences. La situation est si inquiétante qu’il est de mon devoir en tant qu’écrivain engagé, de vous alerter sur l’ampleur des conséquences de cette loi. Ses dispositions enfreignent la Constitution libanaise dont vous êtes le garant. Dans le rapport ci-joint,

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL AU SUJET DE LA NOUVELLE LOI DE LIBÉRALISATION DES LOYERS ANCIENS AU LIBAN

je démontre comment la nouvelle législation conduira à l’entérinement de la violation des droits séculaires des locataires libanais, pour l’achat de leurs appartements avec une décote et à l’indemnisation en cas d’expulsion, à la ségrégation sociale et spatiale des Libanais, ce qui est contraire au principe de la Constitution libanaise, à la gentrification de la capitale par l’expulsion de la classe moyenne et des natifs de Beyrouth et leur remplacement par une classe aisée, à l'exode économique transcommunautaire amplifié par la présence de 1,5 million de réfugiés syriens et à la destruction totale du parc immobilier ancien. Vous y trouverez également une comparaison intéressante entre la nouvelle loi libanaise de libéralisation des loyers de 2014 et la loi protectrice française dite loi de 1948, celle qui a inspiré pendant longtemps la politique du logement au Liban, et qui est toujours en vigueur en France. Monsieur le Président, vous représentez aujourd’hui, non seulement l’espoir pour des centaines de milliers de nos compatriotes, mais aussi la seule autorité qui a le pouvoir d’empêcher la catastrophe sociale à laquelle une frange importante de nos concitoyens sera confrontée dès le mois de novembre, ainsi que la défiguration irréversible du tissu urbain et social de la capitale libanaise, en cas de mise œuvre de ce texte bâclé. Voilà pourquoi je me permets de vous demander la saisine du Conseil constitutionnel pour changer le cours des événements. »

11. En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, Michel Sleiman, « président de la République libanaise, (celui qui) prête serment de fidélité à la Nation libanaise et à la Constitution, en jurant par Dieu Tout-Puissant d’observer la Constitution et les lois du Peuple libanais », vient de saisir effectivement le Conseil constitutionnel, à six jours de l’expiration de son mandat car elle n'assure pas la « justice sociale » et viole par conséquent, la Constitution libanaise. Qu’il en soit remercié. Chapeau, Monsieur le Président !

12. Les députés qui voudraient éviter la colère du jugement dernier des électeurs-locataires aux prochaines législatives, j’ai une pensée émue aux 19 parlementaires de Beyrouth !, devraient lire attentivement le rapport que j'ai envoyé au Président de la République, et s'arrêter longuement sur le tableau ci-dessous où je compare la loi libanaise de libéralisation sauvage des locations anciennes de 2014 à la loi protectrice française de 1948, toujours en vigueur s'il vous plaît ! 

J'ose espérer que quelques députés libanais pris de remords, et capables de reconnaitre leur grosse erreur, rejoindraient le président de la République, Michel Sleiman, et saisiraient le Conseil constitutionnel, pour prouver que leurs regrets ne sont pas que des palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké. Dernier délai pour prouver sa bonne foi, vendredi. Après, place aux cris et aux grincements de dents. A bon entendeur, salut !


Réf.