samedi 15 février 2014

Jackie Chamoun : victime ou arriviste ? (Art.212)


Bon, maintenant que « la réputation du Liban » est assurée par une paire de seins de toute fraicheur, et que la fièvre national-féministo-libertaire est retombée, il serait quand même utile de penser à froid à une affaire qui a tant passionné l’opinion publique libanaise. Voici donc quelques réflexions caustiques sur la polémique autour de la vidéo où l’on voit Jackie Chamoun, notre représentante aux JO de Sotchi, nue, à un string près, pataugeant dans la neige de Ouyoun el-Simane.

1. La femme libanaise dispose librement de son corps et de son image, oui mais...

Mais, des femmes meurent tabassées par leurs maris dans notre pays, comme dans d’autres pays d’ailleurs. Mais encore, ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Si j’ai décidé de me donner la peine il y a quelques jours pour écrire un article sur « l’extravagance » de Jackie Chamoun, c’est parce que j’ai jugé qu’il était important de rappeler d'une part, que la femme libanaise devrait disposer librement de son corps et de son image comme elle l’entend, au moins en théorie, et d'autre part, que quiconque au Liban est libre de critiquer un personnage et une action qui relèvent du domaine public, y compris la chaine New TV et le ministre libanais de la Jeunesse et des Sports, Fayçal Karamé, tant décriés. Je voulais aussi souligner le fait que ceux qui ont critiqué Jackie Chamoun, cités précédemment, ne sont pas « propres » non plus et par conséquent, ils nuisent aussi à « la réputation du Liban », l’usage des termes « non plus » et « aussi » ne doivent rien au hasard.

2. Le boom grâce aux boobs !

Le boom qu’a connu la page Facebook de Jackie Chamoun, prouve à qui ne le sait pas encore, qu’une bonne polémique, comme une mauvaise censure, constitue la meilleure publicité qui soit, elle est réalisée au moindre coût. Il faudrait que les polémistes et les censeurs, ainsi que tous les médias qui surfent sur les polémiques, pour ou contre, intègrent cela dans leurs calculs, quand même. Sauf si polémistes et sujets de polémique, trouvent conjointement leur compte. Dans ce cas, une collaboration officieuse entre les deux parties s’impose. 

Et puisque j’y pense, je ne comprends pas pourquoi malgré tout le tapage médiatique planétaire, on ne sait toujours pas comment et par qui la vidéo incriminée, qui normalement n’était pas censée être publique selon les dires de la skieuse, a refait surface, en une nuit sans lune, trois ans après le shooting, en plein JO de Sotchi, et a aussitôt disparu de la chaine de YouTube (à travers qui le scandale est arrivé et vers laquelle New TV renvoyait), encore en une nuit sans lune, laissant ce message frustrant aux retardataires : « Cette vidéo a été supprimée, car elle ne respecte pas les règles de YouTube concernant la nudité et le contenu à caractère sexuel. » Mystère et boule de gomme.

Dans tous les cas, nous avons eu là encore une preuve que les attributs féminins ont un pouvoir extraordinaire, et pas seulement sous une lumière tamisée d’une chambre à coucher. Ils contribuent au succès fulgurant de certaines femmes, beaucoup plus que leurs prouesses. L’organisation féministe franco-ukrainienne, Femen, en est un très bon exemple. Son égérie, Inna Shevchenko, a obtenu en un temps record, l’asile politique en France, un timbre « Marianne » à son effigie et prétend avoir eu même le passeport français, grâce à une campagne anti-chrétienne et une paire de nichons montrer par-ci, exhiber par-là ! Des femmes à poil portées aux nues par ce féminisme superficiel moderne, il fallait oser le ridicule.


Je doute que les attributs masculins permettent la même performance. Tenez par exemple, si Alex Mohbat, un skieur éclipsé par l’affaire Jackie Chamoun, alors qu’il est lui aussi notre représentant aux JO de Sotchi, avait appelé ses amis afin de mettre en scène une célèbre expression française en leur disant, « allez les gars cette nuit on se gèle les couilles à Faraya », je ne pense pas que les photographes auraient accouru le lendemain matin dès les premiers rayons du soleil pour immortaliser le dégel des organes génitaux de cette bande de mâles nus et que la page Facebook de l'athlète aurait connu le même boom que celle de sa partenaire sportive. On peut dire que l'égalité des sexes et la théorie du genre, en prennent un sacré coup, n'est-ce pas ? Ironie de l'histoire, on vit à une époque où le sexe faible est l'homme, au moins sur le plan médiatique.

3. Libanaises nues vs. Libanaises voilées

J’étais parmi ceux qui ont critiqué avec virulence le fait que l’on se soit cachés derrière « la réputation du Liban » pour dénoncer « l’extravagance » de Jackie Chamoun, d’autant plus que les indignés ternissaient cette réputation plus que la skieuse libanaise.

Mais, devant l’exagération de certains défenseurs de la skieuse -comme Joe Maalouf, l'animateur le plus conservateur de tous les temps, qui ne tarit plus d'éloges sur notre représentante aux JO de Sotchi, mdr!; ou comme le militant à 5 piastres, insulteur du Président de la République, vous vous souvenez c'est celui qui confond les gazouillis avec les fientes sur Twitter, qui réclame aujourd'hui la nomination de Jackie Chamoun comme ministre de la Jeunesse et des Sports, lol!- je suis dans l’obligation de préciser que les seins et les fesses de Jackie Chamoun, ne représentent absolument pas le Liban. En tout cas, pas le mien. Je pense même qu’ils ne contribuent nullement à assurer au pays du Cèdre une bonne réputation dans le reste monde. Je sais de quoi je parle, puisque je vis dans ce reste du monde, avant même que Jackie Chamoun ne naisse. On attend autre chose d’une sportive de haut niveau que de montrer sa poitrine nue au premier venu. 

Les femmes posent nues pour trois raisons : le narcissisme, l'argent et la célébrité. Elles sont entièrement libres de le faire mais il faut bien reconnaître qu'aucune de ces raisons ne valorisent la femme ou le pays qu'elle représente. Enno ma3lé, quelqu’un devait le dire. Aujourd’hui, toute recherche sur « Jackie Chamoun » sur internet renvoie à ses « images dénudées », plutôt qu’à ses « exploits sportifs ». Comme la skieuse a affirmé avant la polémique, pendant la polémique et après la polémique, qu’elle ne regrette rien, c’est à croire qu’elle tient plus aux premiers qu’aux seconds ! Allez savoir. Certes, elle n’est pas la première athlète à dévoiler ses charmes au public, sauf qu’il est utile de rappeler que ce genre d’extravagances est rare, quand même, et qu’il ne concerne que de sportives déjà célèbres, ou des femmes se dépêchant de tirer profit de leurs formes avant de tomber dans l’oubli, voire des has-been bien installées dans l’oubli à la recherche d’un moyen facile de revivre leur quart d’heure de gloire cher à Andy Warhol, ce qui n’était pas triplement le cas de Jackie Chamoun ! Nuance.

D’autre part, je pense que beaucoup de Libanais se seraient sans doute révoltés s’ils avaient entendu dire qu’une Libanaise voilée représentait le Liban. Ce n’est donc ni la Libanaise ayant les seins à l’air et en string nue pataugeant ridiculement dans la neige, ni la Libanaise dont le corps est caché derrière un voile du haut de son 4x4, ne représente le Liban. C’est la liberté d’être, de croire et de s’exprimer, qui représente parfaitement le Liban. En tout cas, le mien. Et c’est précisément ce que j’ai tenu à défendre l’autre jour, et non l’action nombriliste et intéressée d’une jeune de 19 ans, en quête de célébrité, à moindre frais et en toute célérité. Nuance, encore une ! Dieu sait que les ennemis de cette sacro-sainte « liberté d’être » sont nombreux au Liban. C’est une ligue de religieux, de conservateurs et de traditionalistes, de toutes tendances politiques et communautaires.

4. Page Facebook de « Jackie Chamoun » vs. Page Facebook du « Tribunal Spécial pour le Liban »

Comme je l’ai expliqué dans mon article précédent, tous les ingrédients étaient réunis pour faire du bizz de Jackie Chamoun un buzz national. Précisons au passage, que la jeune libanaise n’a pas fait ces photos de charme pour récolter des fonds afin de lutter contre la violence faite à l’égard des femmes au Liban ou pour dénoncer l’excision des filles en Egypte. Elle a accepté la proposition d’un certain Hubertus von Hohenlohe-Langenbourg, un mexico-austro-germano-espagnol, fils de deux jet-setters internationaux dont l’héritière de Fiat, prince-chanteur-photographe et skieur pour le Mexique à ses heures perdues, qui attire plus l’attention sur ses tenues excentriques de ski que sur ses performances sportives, il est le seul représentant du Mexique à Sotchi, l’un des plus âgés, il se présente en tenue de chanteur mariachi svp, enfin bref, c’était une belle occasion pour elle, une occasion en or, l'occasion d'une vie, de se faire connaitre dans le monde grâce à cet aristocrate au carnet d’adresses fort utile, notamment en Suisse, le pays où elle réside et travaille actuellement.

Il est sans doute intéressant de savoir que lorsque le média américain NBC a publié le 30 janvier 2014 sur son site consacré aux Jeux olympiques, une interview avec Jackie Chamoun, qui était consacrée en partie à ses photos topless prises trois ans auparavant à Faraya et parues dans les « Calendriers des monitrices de ski » des années 2013 (les mois de février, avril, juin et décembre... 4 mois sur 12 !) et 2014 (le mois d’avril), la page Facebook de Jackie Chamoun était autour de 775 likes. Eh oui ! Dans cette interview, la sportive déclare que l’aristocrate-mariachi est « un très bon ami », que le shooting « était une grande expérience » et qu’elle a eu « beaucoup de plaisir » à réaliser ces photos. Elle rajoute : « C’était positif pour moi, je ne le regrette pas du tout. J'ai vraiment apprécié. J'aime ces photos. Je n'ai aucun problème avec elles. » Sans le savoir, ou comme je le pense, en le voulant absolument et à tout prix, selon un plan marketing savamment réfléchi, elle venait de mettre le feu au baril de poudre de la polémique. Elle a quand même 22 ans ! D’ailleurs, son interview il y a trois jours pour CNN, faisant fi de ses excuses exprimées quelques jours auparavant sur sa page Facebook, le confirme très bien.

En tout cas, une semaine après l’interview « auto-promotionnelle » de NBC, le compteur affichait déjà 2 750 likes. Et lorsque la vidéo scandale est parvenue jusqu’à New TV, les réseaux sociaux se sont embrasés et le compteur général s’est affolé pour passer à 77 227 likes, soit 100 fois ce qu’il était au matin de l’interview de NBC, deux semaines plus tôt. Certes, c’était prévisible dans une société hyper-médiatisée et super-connectée, mais tout de même. En tout cas, on s’en réjouit pour elle. Chapeau !

Allez savoir pourquoi, mais par curiosité et surement parce qu’on était le lendemain d’un 14 février, jour de commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, j’ai eu l’idée d’aller jeter un coup sur la page Facebook du Tribunal Spécial pour le Liban, le TSL pour les intimes. Il faudrait peut-être rappeler à certains compatriotes, champions du monde de l’amnésie et de la diversion, que le TSL est ce tribunal exceptionnel, que beaucoup de peuples nous envient, créé par l’Organisation des Nations Unies, à la demande du gouvernement libanais, dont l’action puise sa légitimité du plus grand rassemblement de l’histoire du Liban le 14 mars 2005, pour répondre aux attentes d’une population qui râle, rouspète et vocifère, matin, midi et soir, à longueur d’année, de salon et de mur, que ses dirigeants, ses hommes politiques et ses intellectuels se font assassiner les uns après les autres -depuis Kamal Joumblatt (1977), Bachir Gemayel (1982), René Mouawad (1989), Rafic Hariri (2005), Samir Kassir (2005), Gebrane Tuéni (2005), Pierre Gemayel (2006), Wissam el-Hassan (2012), Mohammad Chatah (2013), et tant d’autres- sans qu’on n’ait jamais pu connaitre la vérité et juger les coupables. Figurez-vous, chers amis et compatriotes, que la page du TSL n’a récolté depuis sa création, il y a plusieurs années, que 1 115 likes en tout et pour tout. Qui s'est aventuré à consulter les deux pages Facebook, que j'ai volontairement mis en compétition, a été frappé d'une grande stupéfaction, achtung baby : alors que seulement « 35 personnes en parlent » du Tribunal Spécial pour le Liban, « 97 352 personnes en parlent » de Jackie Chamoun, soit 2 782 fois plus. Houston, we have a problem. Eh bien, cherchez l’erreur.

Bien entendu, chacun est entièrement libre de fixer ses priorités dans la vie. Mais, sachant que rien n’interdit de liker les deux pages, et d'en parler aussi, je trouve que cet écart colossal est aussi injustifié qu’indécent. Nous avons fait d’une banale histoire narcissique et intéressée, celle de Jackie Chamoun, un enjeu national, et réduit un exceptionnel enjeu national, celui du Tribunal Spécial pour le Liban, à un simple fait divers. Chapeau, là aussi.

Enfin, pour répondre à la question du titre de l’article, disons que l’un n’empêche pas l’autre, évidemment, et c'est plutôt dans cet ordre, arriviste puis victime. Allez, rendez-vous le 21 février à Sotchi. Nous verrons bien si Jackie Chamoun n'a vraiment pas froid aux yeux et de quel bois elle se chauffe en vérité !


Post-Scriptum
Je laisse la couverture complaisante, voire démagogique et populiste, de cette affaire, à d’autres. Ils sont également libres de ne dire et d’écrire que ce que la majorité de Libanais aimeraient entendre et lire. Comme je l'ai dit, pour moi l'enjeu de cette histoire narcissique et intéressée est de défendre coute que coute, à la manière de Voltaire s'il le faut, « la liberté d'être, de croire et de s'exprimer ». C'est ce qui représente mon Liban. Ce n'est à personne, ni à un groupe religieux, ni à un groupe politique, ni à un père, ni à un frère, ni à un mari, ni à un cousin, de dicter à la femme libanaise comment elle doit être. Elle est libre, comme tout homme de ce pays.


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