jeudi 8 août 2013

Docteur, maître, général, professeur, cheikh, sayyed, monseigneur, estéz, raïss, beik : entre féodalisme et snobisme, bienvenue au Liban ! (Art.169)


« Heureusement que le ridicule ne tue pas, pour qu’on puisse en rire ». Vous connaissez maintenant bien l’adage de BB himself, hein ? Sonia Frangié, ou Soultané Frangié, allez savoir, et qu’importe, on ne va pas lui consacrer plus de trente-six minutes top chrono, nous a offert un moment affligeant, tragi-comique et hors du temps, dimanche dernier, qui mérite qu’on s’y arrête un instant. Magnéto Bakhos !

« Kesra Bassil, yé3né 3ammo (la Gebran), zalmétna né7na bel batroun, zalmit beit frangié. Yé3né heidol la2elna ! » Wlak chou el bassil tanjra ! Wlé maa2oul hal mara ! Elle a donc dit texto, avec le sourire bête de celle qui ne mesure absolument pas l'abîme de sa stupidité : « Kesra Bassil, l’oncle de Gebran Bassil (ministre libanais de l’Energie et gendre de Michel Aoun), c’est notre homme au Batroun, l’homme de la maison Frangié. Ce qui signifie qu’ils (Bassil et son oncle) nous appartiennent ! » Allah yénajjina min heik ékhra, quel mépris pour le genre humain ! Waynak ya Tanios Chahine ! Cette veille ignare ne sait pas que 3a cha3ra, cha3rit baghél, elle aurait pu ne jamais apparaitre sur la NBN, la chaine de la « maison Berri », avec qui les relations sont au beau fixe, nous rassure la fille de l'ancien président de la République, Sleiman Frangié. « Ils peuvent donner des ordres, nous suivrons ». C'est c'la oui, entre esprits féodaux, le courant passe, mais pas avec « le peuple ». Ba3dénn pardon ya sonia, ta nouftorid fi « beit frangié », chou yé3né belzabét « beit berri », wou min amtinn fi beit berri ? Ah si, since 1992, date de l’accession au trône du Parlement libanais, de Nabih Berri, le dinosaure de la féodalité politique libanaise. En tout cas, l’ignare ne sait pas qu’elle a beaucoup de chance que la révolution initiée par Tanios Chahine et les paysans du Kesrouan contre les féodaux de son espèce en 1858, il y a donc 165 ans, soit passée à deux doigts de « beit frangié » ! Enno yé3né, aktar chouei min 2osb3ein.

« Habibé (au masculin, alors qu’elle s’adresse à une femme... étrange pour beaucoup, mais il faut savoir que c’est à la mode au Liban, pour établir un rapport familier avec la personne, sans apparaitre trop intime avec elle), la maison Frangié est féodale ! » Longue pause pour marquer la solennité de la déclaration. « F-E-O-D-A-L-E. » Sonia Frangié articule bien, pour rendre l’ânerie historique. « Nous sommes des féodaux ! » La pauvre tante de Sleiman Tony Frangié est condamnée à répéter comme une gâteuse. « Au Liban, il y a encore les maisons Frangié et Joumblatt qui sont des féodaux. » Mach'Allah, besm el2ab walében walrou7 el qodoss ! Attendez, mes services d’investigation m’informent que la maison Khazen du Kesrouan porte plainte, d’avoir été exclue dédaigneusement par la maison Frangié. Ma bésir heik, walao, 7atta el2ékta3iyyé bein ba3doun ! « Le reste... » E3né, kel el2orat elsiyésiyé, l’ensemble de la classe politique libanaise selon Sonia Frangié, « ... c’est la guerre qui les a créé ! » Toujours, le mépris ! Et pour ceux qui vivent au 21e siècle et se demandent ce que c’est le féodalisme, la gâteuse des Frangié donne des exemples. « Je suis féodale, j’ai aucun problème avec ça. Yé3né, je sais qu’un tel n’avait même pas de voiture... » Wlak kess ékht el satlané ya soultané ! A l’écouter, j’ai eu l’impression que la science a réussi à donner la parole à une momie moyenâgeuse. Le cauchemar.

En faisant une petite recherche sur le pschitt médiatique de la momie vivante de Zgharta (comparé au buzz !), j’étais frappé de tomber sur certains propos qui attiraient l’attention sur le fait que « la comparaison entre les maisons Frangié et Joumblatt serait déplacée ». Lol, ça nous fait une belle jambe ! D’autres nous expliquaient que « c’est du Sonia tout craché », comme si cela pouvait atténuer la portée des propos odieux de cette dame, lamentable et fière de l'être.

En tout cas, le féodalisme s’épanouit merveilleusement bien au Liban. Il prend bien sûr la forme traditionnelle, archaïque et ostentatoire de celui de mémé Sonia, que ce soit dans la région du Mont-Liban, du Nord, du Sud et de la Bekaa. Toutefois, il prend aussi d’autres formes contemporaines, beaucoup plus subtiles. On le retrouve à Beyrouth comme partout ailleurs au Liban, à des degrés différents. A Faqra comme à Achrafieh, à la Table d’Alfred comme chez Abou André, à Eddé Sands comme sur Facebook. Ce qui caractérise tout féodalisme et le rend si abjecte, c’est le rapport domination-soumission. Dans la forme contemporaine, le féodal libanais est non seulement conscient de cette domination, mais il s’en réjouit bêtement. L’importance du féodal libanais, sur le plan social, s’évalue au nombre de ses vassaux. Le vassal libanais peut être lié au féodal, et ce n’est pas si paradoxalement que ça, par un libre consentement ! La dépendance qui caractérise tout féodalisme, souvent par intérêt, cimente la relation entre les protagonistes. Ce rapport peut se trouver par exemple dans le monde du travail, surtout par temps de crise, où les travailleurs, au sens large et non au sens communiste, n’ont pas le choix. Mais pas uniquement. On le retrouve dans le monde politique aussi. Le communautarisme au Liban n’est qu’une forme de féodalisme, où la communauté et ses chefs, jouent le rôle des féodaux, la base et les individus, le rôle des vassaux. Ces derniers vont gentiment voter en bloc par exemple, selon les recommandations du seigneur, le chef suprême de la communauté. N'oublions pas, on parle toujours de « fief » d'un tel. Très révélateur !

Le féodalisme de société est certainement la forme la plus fascinante. Quoi de plus féodal que d’être snob, en essayant de « se distinguer des masses en affichant un comportement ou des goûts estimés supérieurs », qui s’accompagne systématiquement d’un besoin de domination de ceux qu’on snobe ? Et quoi de plus ridicule, que de nommer un magazine libanais carrément, « Snob »? Maa2oul? Le « magazine de la famille » de surcroit, lol ! Il faut dire que son ancêtre « Al-Hasnaa », le magazine publié aussi par les Sayegh, « belle femme » dans la langue d’Al-Moutanabi, ne sonne pas assez classe en arabe. Allah wou akbar ! D’une manière générale, les lèche-bottes, ces lèche-culs pour être cru, la7issinn el ejrénn woul tizénn bala zoghra, constituent d’excellents exemples de féodalisme contemporain par consentement mutuel. Allons encore plus loin. A quoi servent dans la vie courante par exemple, certains titres de civilité en dehors de « madame » et de « monsieur », comme « docteur », « maître », « général », « professeur », « cheikh », « sayyed », « monseigneur », « estéz », « raïss », « beik », j’en passe et des meilleurs ? Je comprends que l'on soit amené à citer la fonction de quelqu'un, dans une correspondance par exemple : Premier ministre, ministre, directeur général, responsable, chef de service, etc. Mais, je me demande quel est le rôle précis au juste de ces titres sociaux abusifs ? A quoi ça sert par exemple de présenter quelqu'un comme docteur Talhous, ou parler de quelqu'un comme cheikh Ballout, ou de l'autre Fer2aï3a Beik, sauf si c'est par ironie ? Enno chou, el sangharé, kess émmo ! Et les diplomés d’une école de commerce, on leur dit quoi, qu’ils aillent au diable peut-être ! Et les musiciens, ils ne méritent pas une « distinction sociale ». Qui prononce à outrance ces titres pompeux, fais des courbettes, en signe de soumission à titre prétentieux. Qui les accepte à outrance, fais du snobisme, en signe de domination à titre prétentieux également. Nous avons là, tous les signes d’une forme de féodalisme. Pour la pratique, il n’y a qu’à faire un tour en ville, dans les diners mondains, les réunions municipales, au cours des mariages et des enterrements, ainsi que sur les murs de facebook, pour se rendre compte que ce féodalisme subtil est très répandu dans nos contrées, hélas !

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Vous venez de lire les articles 1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l’Organisation des Nations Unies, qui est inspirée de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la Révolution française. Les féodaux traditionnels et contemporains, de la trempe de Sonia Frangié, feraient bien de s’en souvenir 1789 fois au cours de leur vie. Et ce n'est pas de trop, je peux vous dire !


Post-scriptum : Des noms arabes à particule ?

Que l'on soit en France, ou dans les autres pays européens, la préposition n’indiquait pas forcément une appartenance à la noblesse. Les « de Gaulle » par exemple, ne sont pas issus de la noblesse française. L’absence de particule n’indiquait pas non plus, qu’on n’appartenait pas à la noblesse. A l’origine, la particule rattachait tout simplement une famille à une région, un clan ou une filiation (fils ou fille de). La Révolution française, en abolissant les privilèges, a rendu la particule caduque. Au Liban, une préposition française dans un nom de famille, plutôt rare, n’est qu’une forme de snobisme féodal de plus ridicule sachant que le nom à particule n’a aucun sens dans tous les pays arabes. C’est même une contrefaçon grossière des usages en Europe. Pour rattacher une famille libanaise ou arabe à une région, on rajoute un « i ». Eh oui, pas besoin du « de ». Ex : Beyrouti. On ne dit pas Bakhos de Baalbak mais Bakhos Baalbaki. Nuance ! Pour les clans et la filiation, on rajoute « Ben ou Eben ». Eh oui, encore là, pas besoin du « de ». Ex : Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud, et non Abdallah d'Abdelaziz ! Les "féodaux" et la "noblesse", libanaise et arabe, pour se distinguer, ont surtout inventé les titres féodaux, comme cheikh, beik, émir, raïss et j’en passe. Désormais, vous pourrez donc rire de bon cœur devant les noms arabes à particule française ! Ils sonnent faux.