dimanche 11 août 2013

Des serpents et des belles-mères : de Paris et Homs à la Nouvelle-Calédonie (Art.170)


Alors, à regarder ces deux posters côte à côte, vous pensez qu’il n’aurait jamais pu imaginer la moitié d’un quart de seconde, qu’il pourrait inspirer un jour un mouvement djihadiste syrien, religieux et extrémiste, lui, l’artiste américain, qui a lutté durant toute sa vie, courte hélas, contre toutes les formes d’intolérance ? Ha ha ha ha, non, vous n’y êtes pas du tout. Mes neurones ont associé ces deux œuvres qui ne sont pourtant pas liées à l'origine.

D’une part, vous avez Keith Haring, un artiste américain de New York, imprégné par le Pop art, qui s’est engagé dans les années 80 à travers ses œuvres dans la lutte contre toutes les formes de discrimination, notamment le racisme et l’Apartheid en Afrique du Sud, les dangers du nucléaire et de la guerre, les ravages du capitalisme et du sida, les atteintes à l’environnement, ainsi que les dérives et les délires des sociétés contemporaines. Il voulait changer le monde avec ses pinceaux, comme d’autres avec leur plume ou leur clavier. L’artiste subversif est décédé prématurément en 1990, à l’âge de 31 ans, laissant derrière lui un héritage artistique considérable, des œuvres créées dans un style incomparable, la « griffe Haring ». Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui rend hommage depuis le 19 avril. Et
sous les halles du Centquatre, on expose les œuvres grand format de l’activiste américain, jusqu’au 18 août. On s'engage donc dans la dernière semaine, à moins de jouer les prolongations, sauf qu'on n'est pas au Liban, pays des palabres et des prorogations. Le 104, pour les habitués, c’est l'ancien Service municipal des pompes funèbres de Paris. Ce lieu affecté à la mort pendant 120 ans svp, préparait jusqu’à 150 convois mortuaires par jour au début des années 90. Classé monument historique, il a été transformé depuis 2008 en un établissement culturel, offrant 25 000 m² aux artistes, non superstitieux !, pour s’épanouir. Pas comme chez nous où l’obsession de faire du fric pousse à bétonner, el akhdar woul yébiss, jardins et neurones ! 



Toujours est-il, au 104 on pourra découvrir en taille réelle, dans le cadre d’une rétrospective, The Political Line, une des œuvres les plus spectaculaire de Keith Haring, The Ten Commandments. Cette pièce monumentale, créée en 1985, se compose de dix panneaux de plus de 7 m de haut, dont celui que je publie (en tête, à gauche). Elle est inspirée de la Bible et reprend librement l’un des fondements théologiques des religions monothéistes. Les panneaux sont en forme de table de la loi. La partie haute, en jaune, représente le ciel, la partie basse, en vert, représente la terre. Les silhouettes rouges sont les agresseurs, et les bleus, les opprimés. Les croix marquent les cibles. Les commandements ne sont pas identifiés par l’artiste. L’interprétation peut être libre, même pour les athées. Celui que je publie représenterait a priori le commandement où Dieu exige de son fidèle, «Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain. »

D’autre part, vous avez Fares Cachoux (Farès Khachouq), un artiste syrien de Homs qui s’est engagé à travers ses œuvres aux côtés de la révolution qui secoue son pays depuis le 15 mars 2011, et qui a fait plus de 100 000 morts à ce jour. Bouleversé par le massacre de Houla (108 personnes tuées le 25 mai 2012, certaines à l’arme blanche, dont 49 enfants et 34 femmes, selon l’ONU ; le massacre est attribué à l’armée de Bachar el-Assad et aux milices du régime), il décide un beau jour de tout quitter, notamment son confortable poste universitaire d’enseignant aux Emirats, pour mettre son talent de graphiste, ainsi que ses connaissances en informatique et en communication visuelle, au service d’une noble cause. Dans un style épuré, sans texte, et des traits simplifiés, il a par exemple exprimé dans le poster Jabhat al-Nosra que je publie (en tête, à droite), le danger représenté par les djihadistes de ce mouvement.


Signalons au passage puisqu’il en est question dans les deux posters, que le serpent est associé au danger et à la mort, comme dans l’œuvre de Fares Cachoux, brillamment illustré. Dans la mythologie, on ne peut souvent ni l’approcher ni le regarder sans danger. Il symbolise même la tentation. Et ce n’est pas par hasard que Satan s’incarne en serpent pour inciter Eve à cueillir le fruit défendu. Il représente souvent le mal. Dans l’œuvre de Keith Haring, le personnage aux sept reptiles à sang froid qui sortent de la bouche, incarne la mauvaise langue, magistralement illustré.

Pour passer à quelque chose de plus gai, les œuvres de Keith Haring et de Fares Cachoux ne sont pas sans me rappeler Sansevieria Trifasciata, vous saurez pourquoi plus loin, que je nomme au prochain prix Nobel de la Paix des ménages, car elle fait le bonheur de tous les hommes, quel que soit leur statut matrimonial, marié, en union libre, célibataire, vieux garçon, j’en passe et des meilleurs,  pour une double raison, aussi noble l’une que l’autre. La première, c’est parce que cette plante n’est pas exigeante ! Eh oui, il s’agit d’une plante et non d’une belle Latine, quoique, l’un n’empêche pas l’autre, une « plante » n’est-elle pas une jolie fille élancée ? Toujours est-il, Sansevieria Trifasciata rend service en nettoyant l’air de certaines émanations toxiques, et de surcroit, elle est tout simplement increvable. Chatlé haniyé, Allah wakilkoun. On peut l’oublier les mois de juillet et août sur son balcon à Beyrouth par exemple, par 33°, sans une seule goutte d’eau, elle ne pâtira point de cette maltraitance et personne ne viendra vous rabâcher les oreilles avec « mais putain, t’as encore oublié la plante ! ». Dakhilkoun, kel chi wala el gardénia, une plante capricieuse, dont les feuilles commencent à jaunir dès qu’elle entend votre compagne vous dire, en partant passer quelques jours chez sa mère : « Tu n’oublies pas la plante, hein ! » et vous, répondre avec assurance, « khalas walao, 7otté idaïké bé maï berdé ». Aïya maï berdé, aïya ballout, tu parles, elle avait raison de se méfier. Confier une plante à un homme ?  Mais, ça ne va pas à la tête ! Toujours est-il, avec cette extraordinaire plante, aucune mauvaise surprise à votre retour de vacances, que vous partez seul(e) ou en couple, chez votre mère ou en croisière, un petit arrosage au retour, et votre Sansevière reprendra vie. Et du coup, tout le monde est ravi et la paix des ménages est préservée.

Wou 3a faï2a, justement, en parlant de « sa » mère, elle est là la deuxième raison. Sansevieria Trifasciata est communément appelée, Langue de belle-mère. Et pour cause, les similitudes de caractère sont frappantes ! Sob7ann el khéli2. Les deux sont increvables, comme on vient de le voir. Un rien les alimente ! Elles sont toutes les deux bien pendantes. Et le comble, c’est qu’elles sont aussi toutes les deux envahissantes ! Jamais un nom de plante n’a été aussi bien choisi et aussi bien porté, n’est-ce pas ? Et évidemment, chacun y voit dans Sansevieria Trifasciata la mère de l’autre. Et du coup, tout le monde est ravi et la paix des ménages est préservée.

Revenons à nos serpents et que Dieu préserve nos moutons. Voici donc deux exemples de deux artistes, que tout sépare, notamment la géographie et le temps. Deux styles, l’un surchargé, l’autre épuré. Deux pays aux antipodes, l’un sur la voie démocratique since 1776, l’autre sous la tyrannie des Assad since 1970. Deux destins et deux luttes mais au fond une même envie de crier sa révolte contre l’injustice qui frappe leur pays à travers l’art. Encore une magnifique illustration de l’adage populaire, et intemporelle, les paroles, et même les hommes, s’envolent, les écrits et les œuvres restent ! Ba2a bala 2art 7aké, au boulot les artistes en herbe.



PS1 : Les Dix Commandements selon Keith Haring (photo ci-dessus)

> Haut, de gauche à droite : Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain (IX) - Honore ton père et ta mère (V) - Souviens-toi du jour du Seigneur pour le sanctifier (IV) - Tu ne convoiteras ni la femme, ni la maison, ni rien de ce qui est à ton prochain (X) - Tu n’auras pas d’autres dieux que moi (II)

> Bas, de gauche à droite : Tu ne commettras pas de vol (VIII)- Tu ne commettras pas d’adultère (VII) - Tu ne prononceras pas le nom du Seigneur ton Dieu à faux (III) - Tu ne commettras pas de meurtre (VI) - Je suis le Seigneur ton Dieu (I)

PS2 : Sansevieria Trifasciata sur l’îlot Bailly en Nouvelle Calédonie (photo ci-dessus)

Inconnue sur l’îlot il y a une vingtaine d’années, on pense que la plante fut introduite dans un petit pot de fleur par l’homme. Jetée dans la nature, elle a pris racine. Il faut croire que le climat lui a tellement convenu que le spécimen d’origine atteint aujourd’hui 1m de hauteur et couvre plusieurs hectares du Parc territorial du Lagon sud. Si Dieu devait revoir ses commandements, il en rajoutera sans aucun doute des centaines de nos jours, dont deux à l’adresse des randonneurs endimanchés : « la mise en plis, tu éviteras et la nature, tu respecteras ». Et avant que je n'oublie, « tu ne tueras point » s'applique aux animaux aussi !