Wlak ya khayé chou
3emletelkoun el Achrafié ta neikinn 3ard sama rabba heik? Je ne comprends
pas. Par la grâce de quel dieu vous frappez d'anathème cette ville, ses
habitants, ses animaux, ses pierres et même ses arbres ? Allah yer7am trabak ya Alphonse Allais. Combien de fois dois-je
invoquer sa formule sarcastique pour que cela cesse? Longtemps, sans doute, au
moins dans ce pays nase que devient le nôtre. « Quand on dépasse les bornes, il n'y a plus de limites. »
Aujourd'hui, c'est encore les bornes de la connerie dont il s'agit. Voici donc le énième délire de la
municipalité de Beyrouth: installer un parking dans le jardin des Jésuites à
Geitawi.
Tout
a commencé il y a bien longtemps de cela, toute l’équipe municipale n’était même
pas encore née ! Peu de gens savent que jnaïnite el yésou3iyé que
nous connaissons actuellement, une ridicule parcelle de verdure, est
le vestige d’un plus grand parc à la française qui faisait à l’époque du mandat
de la France sur le Liban, près de dix fois la taille de celui d’aujourd’hui. Par
son aménagement, il n’avait rien à envier aux œuvres d’André Le Nôtre, de
Versailles comme des Tuileries ! Si, si ! On blaguait autrefois, en disant
que Dieu a créé le Liban comme le plus beau pays du monde et devant les vives protestations
des autres nations, il a décidé de créer les Libanais afin de rétablir l’équilibre. Comme vous le verrez, nous avons dépassé toutes les espérances !
Ce
lopin de verdure de Geitawi, ce qui restait du grand domaine, fut donné par les
Jésuites à la municipalité de Beyrouth et aménagé en jardin public à la fin des
années 60. Négligé par la suite, il a tout de même traversé la guerre, tant
bien que mal, jusqu’au vendredi 7 juin 2013. Ce jour-là, des rumeurs ont circulé
sur les réseaux sociaux parlant de l'arrivée
de bulldozers pour déraciner les arbres et démarrer le chantier. Faux, rétorqua
Hagop Terzian, membre du conseil municipal de Beyrouth, qui s’est déplacé pour
la peine. « Il ne s’agissait nullement,
ce matin, de bulldozers qui voulaient arracher des arbres, nous prélevons des
échantillons en vue d’une étude qui, elle, déterminera si le projet est
faisable. » Foutaises, mon cher Hagop ! L’étude géologique est une
étape essentielle avant toute construction. Elle détermine le dimensionnement d’ouvrages
(fondations, protections, etc.) qui garantit la stabilité de la structure à long
terme. Parole d'ingénieur !
Le
projet de Geitawi est annoncé à la
presse depuis plus d’un an. Si les bulldozers n’étaient pas dans le jardin ce
matin-là, ils étaient au coin de la rue. Des habitants du quartier ont
manifesté devant l’équipe technique qui s’est présentée, leur opposition à ce
projet même s'ils étaient censés être les principaux bénéficiaires. « Nous sommes là pour protéger l’intérêt des
habitants, pas pour leur imposer quoi que ce soit. S’ils ne veulent pas de ce projet,
il sera abandonné, voilà tout. Mais le problème de parkings restera irrésolu ce
qui poussera les habitants de ces charmants vieux immeubles à l’exode un jour
ou l’autre, et ces bâtiments seront remplacés par des tours avec parkings
souterrains. » (L'Orient-Le Jour 8/6/2013) Wallah, et pour éviter l'exode des Achrafiotes de ces charmants vieux immeubles, vous leur faites passer une autoroute entre leur salon et leur chambre à coucher ? Schizophrénie, mon amour ! En tout cas, c'était donc ce qu'a prétendu Hagop Terzian, cet industriel de l’habillement
pour homme, membre éminent du Conseil municipal de Beyrouth, mais aussi membre
du conseil d’administration de l’Arab
International Development and Investment, qui affiche avec fierté sur sa
page facebook sous la rubrique « Member of Beirut City Council 2010 - 2016 », en pleine biographie, « Clothing
Manufacturing and Trading & Real Estate ! ». Dans le genre, ça fait un sacré mélange ! Bassita, encore un
membre du conseil municipal qui ne dort pas la nuit, soucieux des problèmes de
ses administrés.
Ce
projet qui n'est donc pas entré dans sa phase d’exécution -une bonne nouvelle
tout de même, d'où l'importance de diffuser l'info au plus grand nombre de
Libanais pour maintenir la pression sur le Conseil municipal de Beyrouth- pose pratiquement
les mêmes problèmes que j'ai soulevés il y a à peine un mois -wlé min chaher bass, khafo rabkoun ya
jamé3a!- dans mon article « Une autoroute en plein coeur d'Achrafieh : le dernier délire de la municipalité de Beyrouth ». Il constitue une atteinte au patrimoine, à l’identité et à
l’âme de Beyrouth. Il s’agit également d’une atteinte au cadre de vie des
Achrafiotes. A cela, il convient d'ajouter trois éléments qui sont spécifiques
à ce projet.
1.
D'abord, il y a une atteinte au patrimoine
archéologique et culturel. On retrouve dans la partie sud-ouest du jardin
de Geitawi des ruines d’une ancienne église Byzantine et une mosaïque qui provient
d’un site de Zahrani. De ce fait, le jardin de Geitawi constitue donc un héritage
précieux pour tous les Libanais. Il faut savoir aussi que ce jardin a permis à
plusieurs générations, de se retrouver au calme, loin du vacarme de la ville,
pour jouer, bavarder, se reposer, se rafraichir, flâner, j’en passe et des meilleures.
De ce fait, le jardin de Geitawi constitue donc un lieu de mémoire pour tous les
résidents du quartier et un rare havre de paix précieux, dans cette infernale
ville de Beyrouth. On nous dit que cette partie du jardin ne sera pas détruite
mais au contraire mise en valeur. D’autres nous assurent qu’elle sera
reconstituée après l'édification du parking et mieux exposée au public. C’est
c’la oui, avec un parking de plusieurs milliers de mètres carrés pour le décore !
C’est vraiment se foutre de la gueule des gens.
2.
Ensuite, il y a l'atteinte au patrimoine
écologique. Alors que les Berlinois disposent de 64 millions m² d'espaces
verts, les Parisiens en ont 24 millions m², la municipalité de Beyrouth n'a pas
trouvé mieux que de s'attaquer aux clopinettes de verdure, les 0,1 million m²,
qui sont effectivement à la disposition des Beyrouthins. Je rappelle que le
Bois des Pins avec ces 0,3 million m² est toujours fermé au public par décision
municipale alors qu'il aurait dû ouvrir en 2002 selon les termes du contrat qui
lie la municipalité de Beyrouth à la région Ile-de-France. On nous dit là
aussi, avec un air révolté, haro sur la désinformation, le jardin sera
réaménagé en surface. « Nous n’avons jamais voulu supprimer ce jardin, il sera reconstruit en plus beau encore », parole de conseiller municipal, l'insomniaque plus haut. Lol, haro sur la
niaiserie, oui !
Bon, Monsieur Hagop doit savoir que s'il veut permettre aux voitures de se garer sans souci, la taille standard d'une place de parking devrait être de 2,5 m x 5 m. Il doit donc prévoir 12,5 m² de parking par voiture, et tenir compte de la surface du plancher qui ne sera pas disponible au stationnement (les voies de circulation interne). Comme le projet de la municipalité vise à créer 700 places de stationnement -enfin, c'est le chiffre théorique avancé par le conseiller municipal; à l'arrivée on pourrait avoir bien davantage; et avant que je n'oublie, la municipalité prévoit 4 ans de travaux, sans les retards prévisibles et les imprévus !- les Achrafiotes doivent ainsi s'attendre à voir germer dans le sous-sol de cet espace vert de Geitawi, au moins 11 000 m² de parking (8 750 m² de places de stationnement et 2 250 m² de voies de circulation), dans un jardin qui ne fait pourtant que 4 400 m², kello 3ala ba3do! Si l'équipe de Bilal Hamad, n'envisage que deux étages de parking, tout le sous-sol du jardin sera bétonné. Si elle envisage quatre étages, ce qui sera probablement le cas, deux tiers du sous-sol du jardin sera bétonné. Et même à six étages souterrains, ce qui est énorme, 42 % du sous-sol sera bétonné. Alors, il faudrait peut-être que la municipalité de Beyrouth arrête de croire que ses administrés sont si naïfs au point de prendre des vessies pour des lanternes!
Parlons peu, parlons bien. Tout
le monde sait, qu’au-dessus d’une dalle en béton armé on ne pourra installer
que de minables plantes. Tout le monde sait aussi qu’au-dessus d’une dalle en
béton armé de petits arbustes remplaceront ces grands arbres, qui pour la plupart
étaient bien là avant la naissance d’Hagop Terzian et de Bilal Hamad themselves,
et qui pourront devenir encore plus grands si la municipalité de Beyrouth daigne mettre un terme à cette fâcheuse manie qui consiste à les tailler pour en faire des
arbres snobinards d’ornement.
Ainsi, tout
le monde comprendra, que par son grotesque
projet de parking, la municipalité de Beyrouth transformera ce magnifique jardin de cyprès, de sapins et de
ficus en une ridicule jardinière géante où quatre primevères, trois géraniums et
deux pensées se battront en duel ! Dans une ville où il fait 30° et plus, six
mois l’année, avouez que les membres du Conseil municipal n'ont vraiment pas peur du
ridicule ! De ce fait, le jardin de Geitawi avec ses grands arbres aujourd’hui est
indispensable pour le bien-être des Achrafiotes.
Et
ce n’est pas tout. La municipalité de Beyrouth creuse davantage son ridicule, en
négligeant la répercussion de la mutilation du jardin de Geitawi -par le remplacement
des grands arbres avec de minables plantes- sur la santé des Beyrouthins. Comment
des responsables publics, qui prennent une décision aussi grave, peuvent-ils
ignorer que Beyrouth fut déclarée la 176e ville la plus polluée au
monde selon
une étude de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), menée en 2011 et portant sur 1082 villes ?
La2, ma3jou2inn el chabeb, ils
veulent plus d’autoroutes et de parkings ! Rappelons que la pollution
atmosphérique ignore les frontières administratives et communautaires. Elle est
à l’origine ou aggrave les cardiopathies, les cancers du poumon, les infections
des voies respiratoires et l’asthme. De ce fait, le jardin de Geitawi avec ses
grands arbres est un espace vert précieux, non seulement pour les Achrafiotes
mais aussi pour tous les « Beyrouthins », résidents ou de passage.
3.
Enfin, il y a l'atteinte à la logique et
au bon sens. C'est sans doute le point le plus grave. Le projet de parking dans le jardin de Geitawi fut dévoilé au
grand jour au cour du printemps 2012. A l’époque, la municipalité de Beyrouth a prétendu qu’elle
« modernisait » le jardin, afin
de booster le quartier pour lui permettre de « jouer un meilleur rôle que celui qu’il avait actuellement ».
Certes, c’est très louable de sa part, mais ce n’est absolument pas comme ça
que cela se passe dans les « pays développés ». La modernité qui doit
s’accompagner de la destruction d’un jardin public dans une ville de parpaings et de béton
comme Beyrouth, est un concept typique de pays sous-développés... pardon, d'esprits sous-développés !
J'ai
du mal à imaginer qu'aucun membre du Conseil municipal de Beyrouth n'ait jamais
mis les pieds à l'étranger. Avouez que vu comment les affaires dans notre pays
sont conduites, on en a un sacré doute quand même. Soyons magnanimes en ce jour
du Seigneur, disons qu'ils ont déjà voyagé mais ayant l'esprit écolo et étant
férus de transport en commun et d'odeur de métro, ils n'ont jamais utilisé de
voiture à l'étranger, encore moins de parkings abrités. Ces messieurs doivent
savoir que nulle part dans le monde occidental, ne viendra à l'esprit d'un
membre d'une municipalité d'une grande ville occidentale, n'en parlons pas
d'une capitale occidentale, l'idée de foutre un parking dans un jardin
public occidental ! Pas à ma connaissance.
Monsieur Terzian a le culot de prétendre, « Si nous avions une autre solution, croyez-vous qu’on aurait opté pour celle-ci ? » Foutaises ! Evidemment que d'autres solutions existent. Ce
que la municipalité omet de préciser à ses administrés c’est qu’elle
possède plusieurs parcelles dans la ville de Beyrouth, des expropriations
datant d’avant la guerre civile, dont une particulièrement intéressante pour
les habitants de Rmeil dont le problème de stationnement empêche le président
du Conseil municipal, Bilal Hamad, de dormir la nuit: elle se situe non loin du
jardin de Geitawi, près de l’église arménienne-orthodoxe Mar Yaa2oub !
Alors, BB himself se pose trois questions :
- Pourquoi diable, aller défigurer un jardin public et arracher des
grands arbres, alors qu’on peut construire un bâtiment avec cinq sous-sols et
dix étages, entièrement consacré au stationnement des voitures comme le montre cette photographie, sur une des parcelles appartenant à la municipalité de Beyrouth ?
- Pourquoi la municipalité
de Beyrouth ne signe pas de partenariats avec les promoteurs de la ville, prenant
à sa charge, moyennant une indemnité pour les propriétaires, la construction de parkings souterrains
sur des parcelles privées qui sont déjà dédiées à la construction, et qui
seront mis en vente et en location, aux non-résidents des futurs immeubles ?
- Pourquoi ne pas utiliser l'ensemble de la voirie, qui est dans le domaine public, pour construire des parkings souterrains ? Mais enfin, c'est quand même hallucinant de ne pas y avoir pensé !
Et encore une fois, tant qu’on ne s’attaque pas à la source du problème, il y aura
toujours des embouteillages dans Beyrouth et il manquera toujours des places de
stationnement dans cette ville ! Nous avons trop de voitures, peu de transport
en commun, une centralisation des activités dans la capitale et des voies de communication
inextensibles.
Ce
qui est sûr et certain, c'est que la lubie de transformer les espaces verts de
la capitale en parkings n'est absolument pas nouvelle. J’ai évoqué le sujet
dans mon article, « Des arbres dans toutes les rues de Beyrouth. Yes we can ! ». Les rapaces des
parkings ont déjà tourné autour du jardin de Sioufi et surtout du jardin de
Sanayé3, qui sont les plus grands espaces verts urbains disponibles pour les Libanais.
La nouvelle municipalité de Beyrouth sous la présidence de Bilal Hamad, ne
souhaite surtout pas que les Beyrouthins sachent que la vive protestation de la
population, a obligé l’ancienne équipe municipale à abandonner le projet de
transformer le jardin de Sanayé3 en parking ! Il faut dire qu’en 2009, Saad
Hariri était Premier ministre et il a apporté son soutien aux contestataires. Nous
devons donc s’inspirer de cette action pour s'opposer au scandale du parking du jardin de
Geitawi. Il ne faut pas se leurrer le secret du succès de notre protestation résidera
dans la mobilisation générale et l’information des citoyens. Il faut donc harceler
les responsables politiques, du Président de la République au Premier ministre,
des ministres aux députés, des conseillers municipaux aux candidats potentiels aux élections législatives et municipales,
tout le monde doit se prononcer franchement sur ce projet absurde. Il faut obliger le
Conseil municipal, une fois pour toutes, à abandonner définitivement l’idée farfelue de mutiler le peu
d’espaces verts que nous avons pour en faire de hideux parkings.
Mise à jour 11 juin 2013
Monsieur
Hagop Terzian a publié le 11 juin sur la page facebook de Save Beirut
Heritage le texte ci-dessous. Comme je l’ai cité à plusieurs reprises
dans mon dernier article, par honnêteté intellectuelle et dans un esprit
démocratique, je tiens à le faire partager sur facebook et sur mon
blog, comme un « droit de réponse » légitime. Il sera suivi par la
réponse que je lui ai adressée.
Hagop Terzian