dimanche 23 décembre 2012

Beyrouth, J+2, Solea V : The Wanton Bishops & Oak ! (Art.93)


Ne me demandez pas quel type de musique ils font. Grunge, Rock’n Roll, Rock tout seul, Indie, Funk, Fusion, Hip hop, Trip hop, New Wave, Alternative, R’n’B, Garage, Chambre, Salle-de-bain, Sous-la-douche, dans l'ordre ou le désordre, je n’en sais rien et je ne veux pas le savoir. En matière de musique je serais une espèce de croisement entre le Koala et le Panda, mes eucalyptus et mes bambous sont U2, Coldplay, Red Hot, Radiohead, Pink Floyd, The Beatles et un tas d’autres du même style. Tout ce que je peux vous dire c’est que ces deux groupes jouent des notes qui plaisent aux oreilles, des harmonies qui font décoller les émotions. Bon d’accord, je sais quand même que ce n’est pas du classique, même au sens le plus large, ni dans l’art ni dans les usages ! Ce n’est pas non plus de la country, ni du reggae, ni du jazz. Du blues, certainement, dans la musique de l’un et c’est loin d’être un chouia. De la folk, plus qu’une pincée, sur la musique de l’autre. De la musique pop pour les deux, ah oui, c’est même l’ingrédient principal.

Mais avant de vous présenter ces auteurs-compositeurs-interprètes, pour faire sérieux comme à Taratata, commençons par le commencement, par le réalisateur sans lequel l’événement du 23 ne verra pas le jour. A défaut de pouvoir aller voir les artistes dans leur environnement, BEIRUT JAM SESSIONS, s’est fixé comme objectif de vous les amener dans le vôtre, tout près de chez vous au cœur de Beyrouth. Ça c’est le côté pile. Côté face, des passionnés de musique filment à l’improviste des artistes in vivo plongés dans l’antre de la ville, la nôtre, avec leur guitare comme seul accompagnement, un retour aux sources, sans artéfact et sans eau de Cologne, sans les décorations de Noël et sans l’insupportable bling-bling de certains clips. Ce sont les dénommées « Sessions », des petits bijoux d’authenticité qui font oublier pour quelques minutes que nous sommes à Beyrouth et que notre capitale s’enlaidit à vue d’œil et croule sous le vacarme des marteaux-piqueurs et des klaxoneurs-marteaux, des têtes à claques et des frustrés de tout poil, des générateurs électriques et des génératrices hystériques ! Khei, je me sens beaucoup mieux.

C’est Emilie Gassin qui a ouvert le bal. Même si elle chante en anglais, c’est la plus frenchy des Australiennes. Sa gracieuse voix fait penser indéniablement à Amy Winehouse, t3ich wou tékhoud 3oumra quand même ! Elle s’est produite le 6 juin 2012 au DRM, The Democratic Republic of Music. Non, ce n’est pas un dernier hommage de quelques nostalgiques de l’URSS, mais une insoupçonnable salle de concert nichée entres les immeubles du quartier de Hamra, d’une capacité de 350 personnes ayant à son actif plus d’une centaine d’artistes libanais et internationaux (américains, français et arabes). Après Emilie, il y a eu Nadéah, le 30 août encore au DRM. Australienne aussi, frenchy kaména, chantant en anglais également. Avec sa voix sensuelle, on tombe sous le charme en quelques secondes. Beirut Jam Sessions prévoyait ensuite pour le 27 novembre Pony Pony Run Run, un groupe français d’électro-dance, qui chante aussi en anglais. Le concert fut annulé, dans la tristesse et le désespoir des fans, pour des raisons médicales. On dit aussi pour des raisons de sécurité. Le contraire aurait étonné ! « Welcome Lebanon », comme dirait le rabatteur en chef du Le Chef de la rue Gouraud à Gemmayzé, en tout et pour tout et sans un « to » du tout ! Prochaine étape, le 23 décembre, les organisateurs beyrouthins nous concoctent un événement 100 % lebanese, The Wanton Bishops et Oak.

 
THE WANTON BISHOPS ne font pas dans la dentelle musicale ! Et pourtant ils auraient pu, avec un nom qui fait référence à la femme qui est au bord de l’orgasme, 3ala wachak el nachwat bél 3arabé, aw 3ala nakzé enno yéjé dahra bel mchabra7. Wlak okay féhmna, et les évêques c’est pourquoi faire ? Prendre le son peut être ! Pas très catholique tout ça. En tout cas, ils voulaient un nom qui, when we google it, on ne tombe sur rien d’autre. Pari réussi. Vous l’aurez compris, ce sont des provocateurs-nés. Nader (Mansour), le chanteur, fait penser immanquablement à Jim Morrison, yi3ich wou yékhod 3omro. Encore ! Il a la barbe d’un chaman, la voix teintée par le bourbon, des paroles écrites au fil du rasoir et enfin l’air égaré, ce qui ne manquera pas de réveiller cet instinct de materner chez la gent féminine une fois qu’elle aurait fini de parcourir les ornements tatoués sur le Jim national. Oh ! Eh bien, féministes de Simone de Beauvoir et du Marquis de Sade, remettez-vous à la lecture et lynchez-moi après le concert du 23 ! « Tous ceux qui l’inspirent sur le plan musical ont déjà tiré leur révérence ! » Vous êtes donc prévenus, et cela rime avec cohérence. L’air de dandy d’Eddy (Ghossein), qui pourrait passer pour un british comme il faut, ne l’empêcherait tout de même pas à mon avis d’être capable de presser un citron vert -je dirais vert et bio SVP, c’est le côté « dandy » !- sur les plaies de son compagnon de route quand il l’agace. Deux egos en harmonie qui jouent pourtant sur un autre registre que la légende vivante du Père Lachaise. Nader et Eddy nous servent des cocktails musicaux Blue Devils, les fameux « blues », les diables bleus des idées noires, ou comme on disait dans un vieux français, les « blues » des histoires personnelles. Leur musique est à écouter les yeux fermés, vous serez transportés à la vitesse du son dans l’Etat du Magnolia, le Mississippi !

Leur hit, incontestablement, Sleep with the lights on, un titre tout en lumière pour un hommage déchirant à une amie disparue, tôt, très tôt. Seul dans la nuit, « But the night had no pity, shattered my dreams. » Et maintenant qu’elle est partie pour de bon, il faudrait dormir la lumière allumée. Le hic, irrémédiablement, c’est le Liban. Vous savez c’est ce pays où même en 2012, 69 ans après sa 1re indépendance, 20 ans après la fin de la guerre, 7 ans après la 2e indépendance, il ne suffit pas de mettre l’interrupteur sur « on » pour avoir de la lumière ! A défaut, « For my sins be forgiven, so I can pass the test, to see you again in heaven, where angels rest. » Sublime. Dans Bad rhyme, il est question de couple et de ses couacs, « Remember the cries, remember the smiles, now the devil may take my soul... I wish I had a dime for every time I heard this bad rhyme » et dans Whoopy, d’amour et de ses tourments : « Well in love, I’m a casualty, once was in pain and agony, but the closer you got now babe the less the gravity, turning blasphemy into rhapsody. »

Ces deux chansons ont fait l'objet de sessions, et celles-ci sont à l'image des Wanton Bishops, anti-conventionnelle. Tout se passe dans une maison de caractère abandonnée dans le quartier de Sioufi. Ah, ça ne peut que me plaire. Ils projettent jouer dans des lieux insolites : les vieux bus, tiens, comme ceux en bas de Karm el-Zeitoun, il y a de quoi remplir un petit stade de foot, hélas !; les stations de trains, ils auront du mal à en trouver encore, à moins qu’ils se rabattent sur les derniers rails qui restent de notre chemin de fer flambant neuf construit entre 1895 et 1942 -composé de 417 km et de 45 gares, qui permettait il y a déjà 70 ans d’aller de Londres au Caire, en passant par Vienne, Istanbul, Beyrouth et Haifa, wou ma ba3da Haifa- mais abandonné par l’inqualifiable bêtise libanaise !; ou les usines, transformées pour un lapse de temps en cathédrales musicales. Et voilà, on y arrive à destination. Aoujourd'hui, The Wanton Bishops vous donne rendez-vous au Solea V à Sin el-Fil, pour le lancement de leur premier album.


OAK fait tout dans la dentelle. Un look familier et d’ailleurs, une voix suave, un air de Jeff Buckley, kamén yi3ich wou yékhod 3omro -décidemment ! heureusement que les Wanton Bishops et Oak ne sont pas superstitieux- Allen (Seif) voulait un nom qui sonne bien pour son groupe et le plus court possible. Pari réussi sauf que when we google it, on tombe sur 518 millions résultats ! Alors vous avez intérêt à bien noter l’adresse de son site et sa page Facebook.

Sa musique baigne dans la pop anglaise et irlandaise. Ses sujets de prédilection, un vaste tour d’horizon. Que l’on soit dans une ballade romantique, un plaidoyer contre la guerre ou les expéditions sentimentales, la richesse des images est frappante dans les chansons d’Oak, et la nature est omniprésente avec ses quatre éléments : la Terre (sol, montagne, nature), l’Eau (pluie, marées), l’Air (ciel, vent, espace) et le Feu (soleil, flamme). Le titre poétique de son premier album, lancé à Sydney, résume bien le personnage : On the Bordeline (Between the Heart and the Mind). Et pour ce qui est des frontières, Oak connait bien les contraintes, dans la vie en général, et dans l’amour en particulier, mais aussi en géographie, voilà pourquoi il voudrait bien s’en affranchir et être One of those who fly. Normal, pour quelqu’un qui se définit lui-même comme un « travelling troubadour ». Like. De Peat’s Ridge Festival de Sydney, aux pubs irlandais de Paris, Iron Bell & McBrides, en passant par Welligton, Casablanca et Beyrouth, Oak sera aussi au rendez-vous de Solea V ce dimanche, en opening act.

Son hit, incontestablement, Bloody Mary, c’est le One d’Oak, une ode au rythme crescendo sur les blessures des séparations amoureuses. Et cela donne un clip
studio-champêtre de toute beauté et captivant. « A page of history is keeping me apart... Go away, as fast as you can, as far as you scan... Gravity, she won’t let me be, one of those who fly, high in the sky... We’re out of tune, like December in June, the weather is fine, we’ve just cross the line. » L’autre grand titre de cet album, Pop War, inspirée par les guerres du Liban et les guerres du Golfe, une chanson poignante sur le monde libre, une dénonciation du concept des « guerres populaires », présentées comme un produit de grande consommation, un mal nécessaire, et des « guerres futuristes » menées par les avions de chasse, les bombardiers et les drones, des guerres considérées comme un jeu vidéo avec l’illusion du zéro mort. « Look at the scars in the sky, no one else can fly... The moon rises up from behind the ashes, the night’s being insulted by the flashes. » Pop War aborde aussi toute la difficulté de l’après-guerre, avec la nécessité de dépasser les lignes de démarcation, les blessures et les clivages, bref, de tourner la page : « And now ain’t it time, we erase the line... frightening thoughts, worse than mines ». Très juste, en tout lieu et de tout temps, notamment au Liban et comme tous les Libanais, Allen est bien placé pour le savoir.


Sa session, There Must Be a Reason (Your Lover Tonight), une chanson extraite d’un nouvel album en cours d’enregistrement, est toute conçue à son image. Un dimanche, dans la « Petite Manille » de Beyrouth. Et pourquoi pas au Bouddha Bar ? « Ah, il a fermé... Bon, après le scandale raciste de l’été relayé par Zeid Hamdan -General Suleiman, Zeid and the Wings... si si, ma ghaiyro !- avec ces piscines privées interdites aux domestiques étrangères, j’avais envie de faire un clin d’œil à ces gens qui facilitent la vie des autres ». Le résultat est tout simplement ravissant.

The Wanton Bishops et Oak
ont beaucoup de points communs, à commencer par l’harmonica. L’instrument du voyageur-vagabond, dont la version moderne est l’œuvre d’un Bohémien nommé Richter. Et ce nomadisme leur va si bien. Et rien que pour ça, on est d’emblée conquis. Et rien qu’avec ça, le dépaysement est garanti. Ils ne sont pas les seuls musiciens « occidentaux » à Beyrouth, mais ils ont une « touch », a Western touch, singulière et touchante. Ils complètent l’offre déjà riche de la scène musicale de Beyrouth. D’autres groupes plein d’avenir existent dans notre pays. Des phénomènes se sont même imposés, au Liban et à l’étranger, par leur talent et leur originalité, comme Mashrou3 Leila (Raksit Leila). J’ai souhaité à travers ces quelques lignes rendre un humble hommage à tous ces acteurs, 100 % lebanese ou double-nationaux, de tous horizons et de tous styles, qui insufflent dans les poumons de Beyrouth, un air d’ailleurs, du Mississippi ou de l’Andalousie, de Buenos Aires ou de Paris, de Sydney ou d’Istanbul, du Caire ou de Londres. Ils nous rappellent que le Liban a toujours été ouvert au monde et à toutes les cultures, au croisement des civilisations et des tendances.


Deux dernières choses. Si vous tenez à l’art, soutenez-les artistes. N’hésitez pas à liker leur page Facebook et à acheter leurs œuvres online bien qu’elles soient disponibles gratuitement, car il ne faut pas croire, même les artistes ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche ! Je sais, je vous balance la vérité crue et je vous choque. Et je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin, j’en remets une couche, même deux : le père Noel n’existe pas et Michel Hayék est une ordure ! Enfin, si vous souhaitez vous rendre à Sin el-Fil tout à l'heure apprenez ces deux phrases par cœur. Elles vous seront d’une grande utilité.  C’est le code de déchiffrage de votre soirée. Pour l’ouverture d’Oak : « No police and no decrees, no calendars and no agendas, no more street signs, free of the ground, let me be now, one of those who fly. » Pour la cloture des Wanton Bishops : « I cleaned up my act, for judgment day, Lord have mercy, pray for me pray. » Et comme la fin du monde a été reporté à une date ultérieure, avec de bonnes chances qu’elle ait lieu un jour grâce aux 19 000 têtes nucléaires qui nous restent et à celles en cours de fabrication par les Ahmadinejad & Co, soyez sans crainte vous pouvez encore acheter votre billet pour ce soir, votre (future) belle-mère s’en remettra et sa Mloukhiyé attendra. En y allant soyez-en sûrs, Oak et les Wanton Bishops, ont la capacité d’envoyer les gourous de la Méditation transcendantale se confier sur le divan d’un psy et les Mayas se faire voir chez les Grecs. Vous m’en direz des nouvelles au retour. Et au passage, passez de bonnes fêtes ! Mais au fait, Is there anybody out there ?