mercredi 26 décembre 2012

Les dernières frasques de Ziad Rahbani : bass tékbar bé rasso lal énssan ! (Art.95)


Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est incontestable, Ziad Rahbani est un artiste libanais talentueux. Fin observateur de son environnement, il a su mettre en exergue à travers des pièces de théâtre mémorables, les niaiseries de la société libanaise. Nazl el-Sourour (1974), Bél nésbé la bokra chou (1978), Film amériki tawil (1980), et Chi féchil (1983). On peut les écouter en boucle, et même 20 ou 30 ans après, elles n’ont rien perdu de leur fraicheur, de leur justesse et de leur mordant. Ziad Rahbani, fils de Fairouz et d’Assi Rahbani, est aussi un musicien hors pair, il a composé un grand nombre de chansons qu’on fredonne encore. Qui n’a pas chanté lors d’une soirée ou d’un pique-nique « 3a hadir el bosta » ou « el 7ali té3béné ya Leila ».

Allez savoir pourquoi, il y a quelques jours, alors qu’il commence son dernier spectacle avec 1h20 de retard, sans un mot d’excuse, et parce que certaines personnes ont osé manifester une légère irritation, il n’a pas trouvé mieux que de balancer à l’un « Si tu n’es pas content, pourquoi es-tu encore là ? », à un autre « Tu peux sortir de la salle stp », et à une autre « Ecoute-moi ou tu vas entendre quelque chose qui ne te plaira pas ». Les gorilles sont intervenus pour expulser « les voix qui perturbent » le bon déroulement du spectacle. L’artiste a justifié le retard par le fait qu’il fallait attendre tous les retardataires ! Ha ha ha ha, mieux vaut en rire. Et même si c’était vrai, est-ce que cela justifie de mépriser celles et ceux qui sont venus à l’heure ? Quand même !

Certes, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, mais on ne peut pas s’empêcher de ressentir une franche déception car ce n’est absolument pas ce qu’on attend d’un artiste de son rang. Un petit mot d’excuse aurait désarmé les plus grincheux et les plus coriaces des râleurs. Mais, l’ego du libanais en général, et le ridicule ego de certaines « notoriétés » en particulier (artistes, politiciens, ...), font que cette frontière demeure infranchissable pour eux.

Et au lieu que les fans, se montrent un peu plus exigeant à l’égard de leur idole, ils ont applaudit énergiquement les frasques-grotesques de l’artiste. Eh bien, si on n’exige pas d’être respecté, peut-on après aller se plaindre de ne pas l’être ! Cette réflexion est valable non seulement dans ce cas précis, mais en politique aussi. Tant qu’on n’est pas capable de critiquer les erreurs, les abus et les dérives de ceux que nous soutenons, que l’on ne s’étonne pas qu’on soit pris pour des moutons.

Enfin, dernière anecdote. Comme d’habitude, certains esprits libanais fertiles et tordus, pour ne pas dire la7issin éjrein, encore moins tizein, ont commencé à parler même de « complot » qui aurait été organisé par « ceux qui sont dérangés par le succès de Ziad Rahbani et effrayés par ses idées » ! Wlak khafo rabkoun ya jamé3a ;)

Réf.
 

mardi 25 décembre 2012

« AK-47 avec des pâtes au pesto et alla genovese ! » Un jour de Noël, entre BB himself et Bakhos Baalbaki (Art.94)


Hier, le monde était pris d’une hystérie collective contre laquelle l’Union des psychiatres sans frontière n’a rien pu faire, absolument rien. Ça y est, on y était. On a beau essayé d’oublier les fêtes, et bien les fêtes ne nous oublient pas, hélas ! C’est Noël. Ça aurait pu être Mawlad el-Nabawi el-Charif, non c’est Noel, chaque fête en son temps. Et voilà que beaucoup de gens sur Terre se sont affairés hier pour réaliser leurs derniers achats et passer et ressasser en boucle l’éternel et cyclique questionnement de circonstance. Où, comment et avec qui, ont taraudé tous les esprits.

« Alors voyons, à l'église, à la maison ou au resto ? »
Simplifions, l'église c'est pour plus tard. Pour le reste, difficile d’échapper aux clichés, Noël c’est « cosy » à la maison, le Nouvel An c’est « otarie » au resto. « Cosy d’accord mais otarie c’est quoi au juste BB ? » Que je t’explique. Déjà que je déteste les restos en temps normal, le bavardage de fond perturbe mon homéostasie, mais un jour de fête ou pire à Noël ou au Nouvel An, cela me fait toujours penser à ces otaries entassées sur les côtes de Namibie. « Râleur, grognon et rouspéteur ! » Je préfère railleur, moqueur, persifleur, ironique et sarcastique. Dans tous les cas, le mot d’ordre des fêtes de fin d’année pour certains, se distinguer, à défaut de réussir c’est le ridicule qui guette, parfois, même souvent ! Et fort heureusement que le ridicule ne tue pas, car il permet à nous autres d’en rire.

Continuons le questionnement. « En famille ou entre amis ? » La barbe ! Mais non pas celle de père Noël mais celle de l’agacement. Déjà qu’on « se farcit » sa famille -on dit « se coltiner » de préférence, pour la belle famille- 364 jours par an, on peut s’accorder une pause de 24 heures ! Entre amis, et pourquoi pas ? « Eh bien, ça ne se fait pas, Noël est une fête familiale et puis il y a les enfants. Noël c’est la fête des enfants avant tout. » D’accord, les enfants c’est mignon comme tout et blablabla et patati, patata. Mais avouez un peu, un enfant est un être immature et égoïste, qui ne pense qu’à son nombril. Okay, c’est une spécificité puérile aussi, mais il n’empêche que si vous relisez sa liste de cadeaux qu’il a espérés obtenir du père Noël, alors qu’il savait hypocritement et depuis l’âge de 3 ans, que le ramoneur finlandais n’a jamais existé et que ce sont ses vieux qui lui payent tout ça ! « Ah, mais il y a l’innocence et la bonté. » Tu parles, il n’y a qu’à voir les gamins avec leurs semblables. L'enfance est parfois un monde sans pitié qui fait envier celui des adultes. Rappelons-nous comment nous étions lorsque nous avions l’âge de môme. Des anges ?  J’en doute. Des petits monstres oui ! A ricaner sur le petit, le gros, le basané et le ringard, sur l’accent, le vêtement, le cartable et la coupe de cheveux, sur ceci et sur cela. Rien ne change à l’âge adulte. Oui Lavoisier avait raison, mille fois raison : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » L’hypocrisie remplace la franchise et le calcul remplace la spontanéité.
« Reste à savoir si on est vraiment gagnants dans l'histoire ! » Je ne te le fais pas dire mon cher.

Bon, revenons à nos moutons si tu le veux bien. « Mais nonnnnnn BB, le mouton c’est pour Pâques et Eid el-Adha. Voyons, tu n’as pas encore dessoûlé ! » Donc on se demandait très cher(e)s ami(e)s que faire pour le repas festif ? D’accord, on avait dit pas de foie gras cette année car ce délicieux mets est obtenu par le gavage cruel des oies et des canards. La barbarie apprivoisée, non merci, pas sous mon toit. « Tu parles, cette belle résolution tient bon entre deux Noël, dans le meilleur des cas ! Quid de la dinde aux marrons ? » Aux marrons, cause toujours, je dirais même plus, tu oses encore, plutôt aux hormones oui. « Ah, puis parlons de cette insupportable standardisation et uniformisation de tout ! » Absolument ! Téléphone, c’est BlackBerry ou iPhone. Voiture, c’est 4x4 ou 4x4 ! Nez et lèvres, c’est Dr Nader ou Docteur Saab. « Et maintenant même les repas de fêtes ! » Berk. Imaginez 7 milliards d’individus sur Terre -tiens au passage, pour une fois je peux placer ce truc, cela me rappelle un journaliste d’un quotidien libanais de langue arabe qui se veut à scandale, que je tairais le nom par magnanimité, mais qui se reconnaitra, qui parlait au cours d’un talkshow de 3 ou 4 milliards d’individus sur Terre alors qu’on a dépassé les 4 milliards en 1974 ; faut peut-être se mettre à jour de temps à autre !- à la discipline chinoise pour les fêtes, c’est-à-dire, ils veulent tous bouffer de la dinde aux marrons à Noël. Je sais, on peut leur passer la chanson de Renaud l’Hexagone, et souhaiter « les voir crever, étouffés de dinde aux marrons », mais ce n’est pas gentil. Donc comment pensez-vous qu’on pourrait obtenir suffisamment de dindes pour subvenir aux besoins des réveillonneurs et des réveillonneuses de tous les pays ? Voilà, dindons de la farce, régalons-nous d’hormones et Messieurs ne nous étonnons pas si nos seins commencent à rivaliser avec ceux de bobonnes ! Berk encore. « Et pourquoi ne pas manger ce qu’on aime tout simplement. » Tu penses au caviar ? « T’es sérieux ou tu blagues ? » A ton avis ? C’est le mets le plus dégueulasse que l’humanité de tous les temps ait jamais inventé. « On ne dit pas dégueulasse, comme les mômes que tu viens de lyncher, on dit qu’on n’aime pas, point. » Accordé, mais je préfère un cocktail à base de pamplemousse, avec la peau, et de kaki astringent ! Les huitres ? « Heureux que tu en parles. » T’excites pas trop, je n’ai jamais compris l’engouement pour cette chose froide ! On ne sait pas en plus, si elle est morte ou vivante, et si elle ne se recompose pas dans l’estomac comme les Alien. « Mais c’est aphrodisiaque ! » Bof, tu parles, autant prendre un bol de lait et de poudre de cornes de rhinocéros tous les matins. « Tayeb, alors quoi ? » Légende pour légende, je préfère celle de l’ail. Oui je prendrais bien des pâtes à l’ail et à l’huile d’olive, saupoudrées de parmigiano reggiano d’Italie. « Des pâtes à Noël, maa2oul ! Et puis tu ne te rends pas compte, on puerait l’ail toute la soirée. » Figure-toi que j’ai envie de me faire plaisir un jour de fête, donc oui des pâtes à l’ail et basta cosi ! Al dente pour ta gouverne et au pesto et alla genovese si ça te chante.

« D’accord, on arrive à solb el mawdou3, quoi offrir et à qui offrir ? »
Mais putain de bordel de foutaises, pourquoi faut-il offrir quoique ce soit à qui que ce soit le jour de Noël parce qu’on fête l’anniversaire de Jésus, qui n’est plus de ce monde il y a belle lurette. Et encore, s’il y a quelque chose à offrir c’est bel et bien au principal concerné, le petit Jésus. Comme il n’est plus parmi nous, c’est uniquement quelque chose de spirituel qu’on pourrait lui offrir. On ne va pas recommencer avec les rites païens ! « Oh, c’est symbolique et c’est pour faire plaisir. » Tu parles de plaisir ! Pourquoi diable je dois me rabattre à faire un cadeau au nouveau compagnon de mon ex-copine ! Moi, j’ai envie de lui offrir une belle paire de claques, en espérant qu’il suivra les conseils du Christ. Mais il parait d’après mon ex, qu’il le prendrait très mal à Noël. « Pas de souci, tu essayeras à un autre moment de l’année ! » Mais qu’il soit maudit celui ou celle qui a inventé cette pratique commerciale qui conduit parfois à des situations grotesques où vous trouvez sous le sapin de votre hôte, que vous ne connaissez pas d’ailleurs, mais où l’on vous a trainé, au sens propre, en tout cas pour moi, votre nom inscrit sur des étiquettes collées sur un livre de Marc Levy et sur une paire de chaussettes noires avec le lapin de Playboy comme ornement. « Ya 3adra dakhil esmik, malla zalamé ! »

Toujours est-il, après des années de réflexion sur la question, BB himself a décidé que dorénavant il offrira à tout le monde, Bakhos Baalbaki compris, partout où il est invité, et s’il daigne s’y rendre, un AK-47 ! « Dis-moi je rêve ! A moins que je ne me trompe. » Non, tu ne te trompes pas, ce n’est pas un drone pour mater les voisines l’été, ni le dernier modèle de chaine Hifi de Denon pour écouter Sleep with lights on des Wanton Bishops et Bloody Mary d'Oak, ni une PlayStation pour s’amuser avec Lara Croft, mais le célèbre fusil d’assaut de fabrication russe, la Kalachnikov ! « Mais pourquoi ? » Eh bien parce qu'il est si facile à se la procurer, elle n’est pas chère (on en trouve à 700 $ au Liban et même en France !), elle est increvable, elle figure même sur un drapeau, bien de chez nous de surcroit, celui du Hezbollah en l'occurence -j’ai la chair de poule rien que d’en parler, quelle fierté pour les Libanais de se distinguer de la sorte, et quelle stimulation pour l'économie nationale et pour le tourisme de guerre !- et vue les perspectives de croissance des conflits au Liban et dans le monde, c’est un bon investissement d’avenir ! « Tu déconnes grave ! » Bakhos réveille-toi mon coco, c’est le monde qui déconne grave. Plus de 100 000 000 de pièces ont été produites depuis 1947, sans parler des autres fusils d’assaut comme le M16 (USA, 8 000 000 d’exemplaires produits), des armes automatiques qui peuvent tirées de 600 à 900 coups/minute, donner la mort n’a jamais été aussi facile et pas cher !

Et pourtant, la conférence internationale tenue cet été par l’ONU, avec la participation de 193 pays, et qui avait pour but de rédiger le premier traité sur le commerce des armes conventionnelles, s’est achevée sans parvenir à aucun accord. « Merci les lobbys des complexes militaro-industriels ! » Depuis 1990, Amnesty International souhaite intégrer une certaine éthique dans ce « sale commerce ». Une règle d’or qui vise à « empêcher tout transfert d’armes à tout destinataire dès lors qu’il existe un risque substantiel de violations graves des droits humains, du droit international humanitaire ou qui pourrait saper le développement économique et social d’une région du monde. » En vain !

Bon, revenons sous notre sapin. Une fois Noël passé, vous n’êtes pas au bout de vos peines. Rebelote pour le Nouvel An. « Où, comment et avec qui ? », se posent avec plus d’acuité, avec quelques variantes, et une différence, l’absence de cadeaux est compensée par l’explosion de l’hystérie collective. Je n’ai jamais été porté sur Noël ni sur Mawlad el-Nabawi el-Charif, ni sur le Nouvel An du calendrier grégorien, ni sur Ras el-Séné el-Héjriyé, encore moins sur le Nouvel an chinois, pas plus sur les anniversaires des autres, même des êtres qui me sont chers, même sur le mien. Je m’en fous et contrefous de toutes les festivités nationales et religieuses. A chaque fête ou anniversaire, je n’y peux rien, ma première pensée va toujours, non à l’événement lui-même, mais plutôt au plus grand poète arabe de tous les temps, Al-Mutanabbi, et à ce vers intemporel :

عـيدٌ بِـأَيَّةِ حـالٍ عُـدتَ يا عيدُ        بِـما مَـضى أَم بِـأَمرٍ فيكَ تَجديد

Et toute cette intro mes ami(e)s, n’est là que vous préparez chères lectrices et chers lecteurs à la question qui est de loin la plus difficile de toutes, à chaque fête religieuse ou nationale, que l’on soit par omission, égoïste ou écorché vif, ou que l’on soit par conviction, nombriliste ou altruiste : « comment festoyer dans la joie et la bonne humeur alors que des gens souffrent autour de nous, au Liban comme de l’autre côté de l’Anti-Liban, tout près de nous ou à l’autre bout de la planète ? » Eh bien, la solution passe soit par l’introduction d’une dose de schizophrénie dans nos vies, ce qui nous permettra de survivre sans trop de peine dans ce monde de brutes, soit par l’engagement à changer le monde. Enfin, je vous souhaite mes cher(e)s ami(e)s un joyeux Noël. Yalla à votre santé, tous mes vœux pour 2013 !


Réf.

Un télé-achat meurtrier (AK-47) - Amnesty International France
(parodie)
Contre le commerce irresponsable des armes - Amnesty International France (page Facebook)

dimanche 23 décembre 2012

Beyrouth, J+2, Solea V : The Wanton Bishops & Oak ! (Art.93)


Ne me demandez pas quel type de musique ils font. Grunge, Rock’n Roll, Rock tout seul, Indie, Funk, Fusion, Hip hop, Trip hop, New Wave, Alternative, R’n’B, Garage, Chambre, Salle-de-bain, Sous-la-douche, dans l'ordre ou le désordre, je n’en sais rien et je ne veux pas le savoir. En matière de musique je serais une espèce de croisement entre le Koala et le Panda, mes eucalyptus et mes bambous sont U2, Coldplay, Red Hot, Radiohead, Pink Floyd, The Beatles et un tas d’autres du même style. Tout ce que je peux vous dire c’est que ces deux groupes jouent des notes qui plaisent aux oreilles, des harmonies qui font décoller les émotions. Bon d’accord, je sais quand même que ce n’est pas du classique, même au sens le plus large, ni dans l’art ni dans les usages ! Ce n’est pas non plus de la country, ni du reggae, ni du jazz. Du blues, certainement, dans la musique de l’un et c’est loin d’être un chouia. De la folk, plus qu’une pincée, sur la musique de l’autre. De la musique pop pour les deux, ah oui, c’est même l’ingrédient principal.

Mais avant de vous présenter ces auteurs-compositeurs-interprètes, pour faire sérieux comme à Taratata, commençons par le commencement, par le réalisateur sans lequel l’événement du 23 ne verra pas le jour. A défaut de pouvoir aller voir les artistes dans leur environnement, BEIRUT JAM SESSIONS, s’est fixé comme objectif de vous les amener dans le vôtre, tout près de chez vous au cœur de Beyrouth. Ça c’est le côté pile. Côté face, des passionnés de musique filment à l’improviste des artistes in vivo plongés dans l’antre de la ville, la nôtre, avec leur guitare comme seul accompagnement, un retour aux sources, sans artéfact et sans eau de Cologne, sans les décorations de Noël et sans l’insupportable bling-bling de certains clips. Ce sont les dénommées « Sessions », des petits bijoux d’authenticité qui font oublier pour quelques minutes que nous sommes à Beyrouth et que notre capitale s’enlaidit à vue d’œil et croule sous le vacarme des marteaux-piqueurs et des klaxoneurs-marteaux, des têtes à claques et des frustrés de tout poil, des générateurs électriques et des génératrices hystériques ! Khei, je me sens beaucoup mieux.

C’est Emilie Gassin qui a ouvert le bal. Même si elle chante en anglais, c’est la plus frenchy des Australiennes. Sa gracieuse voix fait penser indéniablement à Amy Winehouse, t3ich wou tékhoud 3oumra quand même ! Elle s’est produite le 6 juin 2012 au DRM, The Democratic Republic of Music. Non, ce n’est pas un dernier hommage de quelques nostalgiques de l’URSS, mais une insoupçonnable salle de concert nichée entres les immeubles du quartier de Hamra, d’une capacité de 350 personnes ayant à son actif plus d’une centaine d’artistes libanais et internationaux (américains, français et arabes). Après Emilie, il y a eu Nadéah, le 30 août encore au DRM. Australienne aussi, frenchy kaména, chantant en anglais également. Avec sa voix sensuelle, on tombe sous le charme en quelques secondes. Beirut Jam Sessions prévoyait ensuite pour le 27 novembre Pony Pony Run Run, un groupe français d’électro-dance, qui chante aussi en anglais. Le concert fut annulé, dans la tristesse et le désespoir des fans, pour des raisons médicales. On dit aussi pour des raisons de sécurité. Le contraire aurait étonné ! « Welcome Lebanon », comme dirait le rabatteur en chef du Le Chef de la rue Gouraud à Gemmayzé, en tout et pour tout et sans un « to » du tout ! Prochaine étape, le 23 décembre, les organisateurs beyrouthins nous concoctent un événement 100 % lebanese, The Wanton Bishops et Oak.

 
THE WANTON BISHOPS ne font pas dans la dentelle musicale ! Et pourtant ils auraient pu, avec un nom qui fait référence à la femme qui est au bord de l’orgasme, 3ala wachak el nachwat bél 3arabé, aw 3ala nakzé enno yéjé dahra bel mchabra7. Wlak okay féhmna, et les évêques c’est pourquoi faire ? Prendre le son peut être ! Pas très catholique tout ça. En tout cas, ils voulaient un nom qui, when we google it, on ne tombe sur rien d’autre. Pari réussi. Vous l’aurez compris, ce sont des provocateurs-nés. Nader (Mansour), le chanteur, fait penser immanquablement à Jim Morrison, yi3ich wou yékhod 3omro. Encore ! Il a la barbe d’un chaman, la voix teintée par le bourbon, des paroles écrites au fil du rasoir et enfin l’air égaré, ce qui ne manquera pas de réveiller cet instinct de materner chez la gent féminine une fois qu’elle aurait fini de parcourir les ornements tatoués sur le Jim national. Oh ! Eh bien, féministes de Simone de Beauvoir et du Marquis de Sade, remettez-vous à la lecture et lynchez-moi après le concert du 23 ! « Tous ceux qui l’inspirent sur le plan musical ont déjà tiré leur révérence ! » Vous êtes donc prévenus, et cela rime avec cohérence. L’air de dandy d’Eddy (Ghossein), qui pourrait passer pour un british comme il faut, ne l’empêcherait tout de même pas à mon avis d’être capable de presser un citron vert -je dirais vert et bio SVP, c’est le côté « dandy » !- sur les plaies de son compagnon de route quand il l’agace. Deux egos en harmonie qui jouent pourtant sur un autre registre que la légende vivante du Père Lachaise. Nader et Eddy nous servent des cocktails musicaux Blue Devils, les fameux « blues », les diables bleus des idées noires, ou comme on disait dans un vieux français, les « blues » des histoires personnelles. Leur musique est à écouter les yeux fermés, vous serez transportés à la vitesse du son dans l’Etat du Magnolia, le Mississippi !

Leur hit, incontestablement, Sleep with the lights on, un titre tout en lumière pour un hommage déchirant à une amie disparue, tôt, très tôt. Seul dans la nuit, « But the night had no pity, shattered my dreams. » Et maintenant qu’elle est partie pour de bon, il faudrait dormir la lumière allumée. Le hic, irrémédiablement, c’est le Liban. Vous savez c’est ce pays où même en 2012, 69 ans après sa 1re indépendance, 20 ans après la fin de la guerre, 7 ans après la 2e indépendance, il ne suffit pas de mettre l’interrupteur sur « on » pour avoir de la lumière ! A défaut, « For my sins be forgiven, so I can pass the test, to see you again in heaven, where angels rest. » Sublime. Dans Bad rhyme, il est question de couple et de ses couacs, « Remember the cries, remember the smiles, now the devil may take my soul... I wish I had a dime for every time I heard this bad rhyme » et dans Whoopy, d’amour et de ses tourments : « Well in love, I’m a casualty, once was in pain and agony, but the closer you got now babe the less the gravity, turning blasphemy into rhapsody. »

Ces deux chansons ont fait l'objet de sessions, et celles-ci sont à l'image des Wanton Bishops, anti-conventionnelle. Tout se passe dans une maison de caractère abandonnée dans le quartier de Sioufi. Ah, ça ne peut que me plaire. Ils projettent jouer dans des lieux insolites : les vieux bus, tiens, comme ceux en bas de Karm el-Zeitoun, il y a de quoi remplir un petit stade de foot, hélas !; les stations de trains, ils auront du mal à en trouver encore, à moins qu’ils se rabattent sur les derniers rails qui restent de notre chemin de fer flambant neuf construit entre 1895 et 1942 -composé de 417 km et de 45 gares, qui permettait il y a déjà 70 ans d’aller de Londres au Caire, en passant par Vienne, Istanbul, Beyrouth et Haifa, wou ma ba3da Haifa- mais abandonné par l’inqualifiable bêtise libanaise !; ou les usines, transformées pour un lapse de temps en cathédrales musicales. Et voilà, on y arrive à destination. Aoujourd'hui, The Wanton Bishops vous donne rendez-vous au Solea V à Sin el-Fil, pour le lancement de leur premier album.


OAK fait tout dans la dentelle. Un look familier et d’ailleurs, une voix suave, un air de Jeff Buckley, kamén yi3ich wou yékhod 3omro -décidemment ! heureusement que les Wanton Bishops et Oak ne sont pas superstitieux- Allen (Seif) voulait un nom qui sonne bien pour son groupe et le plus court possible. Pari réussi sauf que when we google it, on tombe sur 518 millions résultats ! Alors vous avez intérêt à bien noter l’adresse de son site et sa page Facebook.

Sa musique baigne dans la pop anglaise et irlandaise. Ses sujets de prédilection, un vaste tour d’horizon. Que l’on soit dans une ballade romantique, un plaidoyer contre la guerre ou les expéditions sentimentales, la richesse des images est frappante dans les chansons d’Oak, et la nature est omniprésente avec ses quatre éléments : la Terre (sol, montagne, nature), l’Eau (pluie, marées), l’Air (ciel, vent, espace) et le Feu (soleil, flamme). Le titre poétique de son premier album, lancé à Sydney, résume bien le personnage : On the Bordeline (Between the Heart and the Mind). Et pour ce qui est des frontières, Oak connait bien les contraintes, dans la vie en général, et dans l’amour en particulier, mais aussi en géographie, voilà pourquoi il voudrait bien s’en affranchir et être One of those who fly. Normal, pour quelqu’un qui se définit lui-même comme un « travelling troubadour ». Like. De Peat’s Ridge Festival de Sydney, aux pubs irlandais de Paris, Iron Bell & McBrides, en passant par Welligton, Casablanca et Beyrouth, Oak sera aussi au rendez-vous de Solea V ce dimanche, en opening act.

Son hit, incontestablement, Bloody Mary, c’est le One d’Oak, une ode au rythme crescendo sur les blessures des séparations amoureuses. Et cela donne un clip
studio-champêtre de toute beauté et captivant. « A page of history is keeping me apart... Go away, as fast as you can, as far as you scan... Gravity, she won’t let me be, one of those who fly, high in the sky... We’re out of tune, like December in June, the weather is fine, we’ve just cross the line. » L’autre grand titre de cet album, Pop War, inspirée par les guerres du Liban et les guerres du Golfe, une chanson poignante sur le monde libre, une dénonciation du concept des « guerres populaires », présentées comme un produit de grande consommation, un mal nécessaire, et des « guerres futuristes » menées par les avions de chasse, les bombardiers et les drones, des guerres considérées comme un jeu vidéo avec l’illusion du zéro mort. « Look at the scars in the sky, no one else can fly... The moon rises up from behind the ashes, the night’s being insulted by the flashes. » Pop War aborde aussi toute la difficulté de l’après-guerre, avec la nécessité de dépasser les lignes de démarcation, les blessures et les clivages, bref, de tourner la page : « And now ain’t it time, we erase the line... frightening thoughts, worse than mines ». Très juste, en tout lieu et de tout temps, notamment au Liban et comme tous les Libanais, Allen est bien placé pour le savoir.


Sa session, There Must Be a Reason (Your Lover Tonight), une chanson extraite d’un nouvel album en cours d’enregistrement, est toute conçue à son image. Un dimanche, dans la « Petite Manille » de Beyrouth. Et pourquoi pas au Bouddha Bar ? « Ah, il a fermé... Bon, après le scandale raciste de l’été relayé par Zeid Hamdan -General Suleiman, Zeid and the Wings... si si, ma ghaiyro !- avec ces piscines privées interdites aux domestiques étrangères, j’avais envie de faire un clin d’œil à ces gens qui facilitent la vie des autres ». Le résultat est tout simplement ravissant.

The Wanton Bishops et Oak
ont beaucoup de points communs, à commencer par l’harmonica. L’instrument du voyageur-vagabond, dont la version moderne est l’œuvre d’un Bohémien nommé Richter. Et ce nomadisme leur va si bien. Et rien que pour ça, on est d’emblée conquis. Et rien qu’avec ça, le dépaysement est garanti. Ils ne sont pas les seuls musiciens « occidentaux » à Beyrouth, mais ils ont une « touch », a Western touch, singulière et touchante. Ils complètent l’offre déjà riche de la scène musicale de Beyrouth. D’autres groupes plein d’avenir existent dans notre pays. Des phénomènes se sont même imposés, au Liban et à l’étranger, par leur talent et leur originalité, comme Mashrou3 Leila (Raksit Leila). J’ai souhaité à travers ces quelques lignes rendre un humble hommage à tous ces acteurs, 100 % lebanese ou double-nationaux, de tous horizons et de tous styles, qui insufflent dans les poumons de Beyrouth, un air d’ailleurs, du Mississippi ou de l’Andalousie, de Buenos Aires ou de Paris, de Sydney ou d’Istanbul, du Caire ou de Londres. Ils nous rappellent que le Liban a toujours été ouvert au monde et à toutes les cultures, au croisement des civilisations et des tendances.


Deux dernières choses. Si vous tenez à l’art, soutenez-les artistes. N’hésitez pas à liker leur page Facebook et à acheter leurs œuvres online bien qu’elles soient disponibles gratuitement, car il ne faut pas croire, même les artistes ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche ! Je sais, je vous balance la vérité crue et je vous choque. Et je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin, j’en remets une couche, même deux : le père Noel n’existe pas et Michel Hayék est une ordure ! Enfin, si vous souhaitez vous rendre à Sin el-Fil tout à l'heure apprenez ces deux phrases par cœur. Elles vous seront d’une grande utilité.  C’est le code de déchiffrage de votre soirée. Pour l’ouverture d’Oak : « No police and no decrees, no calendars and no agendas, no more street signs, free of the ground, let me be now, one of those who fly. » Pour la cloture des Wanton Bishops : « I cleaned up my act, for judgment day, Lord have mercy, pray for me pray. » Et comme la fin du monde a été reporté à une date ultérieure, avec de bonnes chances qu’elle ait lieu un jour grâce aux 19 000 têtes nucléaires qui nous restent et à celles en cours de fabrication par les Ahmadinejad & Co, soyez sans crainte vous pouvez encore acheter votre billet pour ce soir, votre (future) belle-mère s’en remettra et sa Mloukhiyé attendra. En y allant soyez-en sûrs, Oak et les Wanton Bishops, ont la capacité d’envoyer les gourous de la Méditation transcendantale se confier sur le divan d’un psy et les Mayas se faire voir chez les Grecs. Vous m’en direz des nouvelles au retour. Et au passage, passez de bonnes fêtes ! Mais au fait, Is there anybody out there ?